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HERAKLE
SCENES DE LA VIE GEORGIENNE

Pour les chrétiens d’Orient, pour ceux de la Géorgie surtout, la Pâque est la fête la plus solennelle de l’année. Le jeûne du carême a été long et sévère, et si la journée pascale est l’anniversaire de la résurrection du Christ, elle semble être aussi une résurrection pour les chrétiens, qui l’appellent la « fête des fêtes, » le « triomphe des triomphes.» Dès la veille, un peu avant l’heure de minuit, les trente clochers de Tiflis s’ébranlent, et de joyeuses volées, troublant le silence nocturne, se répercutent d’une montagne à l’autre, comme si les cloches, mêlant sans discontinuer leurs voix éclatantes, échangeaient entre elles des prières mystérieuses. Je n’oublierai jamais l’impression que me causa cet étrange concert la première fois que je l’entendis. Je voyais gentilshommes et serfs sortir des maisons; la foule courait dans les églises, où les prêtres bénissaient les pains et les viandes qu’on leur apportait. On s’abordait avec de Joyeux sourires, on s’embrassait, et chacun répétait la formule sacramentelle : « Le Christ est ressuscité. » Le lendemain dimanche, jour de Pâque, on tue à Tiflis près de cent mille agneaux en souvenir de l’agneau divin. Les tables sont servies en permanence dans chaque maison, et tout visiteur qui entre est reçu comme un convive.

Le lundi de Pâque, une autre fête singulière, et barbare attire les bons Géorgiens vers la Montagne-Rouge, au nord de Tiflis, qui en est chaque année le théâtre. De grand matin, les paysans arrivent des campagnes environnantes, à dix lieues à la ronde, les uns à cheval, fusil au dos, kindjal (poignard) à la ceinture; d’autres sont traînés sur des arbas (charrettes) par des buffles. Le peuple apporte là de quoi festiner, du porc salé, des agneaux rôtis, du fromage, des concombres,