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difficile de combiner ensemble ces vitesses extrêmes. Une autre conséquence des grandes vitesses en dépit de toutes les combinaisons est d’être pour la voie et le matériel un principe de destruction rapide; c’est en partie ce qui rend les trains express si onéreux aux compagnies. Aussi en Angleterre le prix des places y est plus élevé d’un tiers. La concurrence a fait supprimer cette surtaxe sur plusieurs lignes; mais elle subsiste partout où on a pu la maintenir.

Par elle-même, la vitesse n’est pas une cause de danger, et il est remarquable que dans les collisions les trains express sont généralement ceux qui souffrent le moins, soit parce qu’ils franchissent les obstacles par leur vitesse acquise, soit parce qu’ils les pulvérisent devant eux. Les chemins de fer en ont constaté de mémorables exemples : des trains express ont affronté presque impunément des obstacles où l’on se fût brisé avec une moindre vitesse. Cependant plus un train est rapide, plus il possède une grande quantité de cet effet mécanique nommé force vive par les physiciens, et qu’il faut dépenser toujours pour passer du mouvement au repos, et vice versa. Cette force vive croît proportionnellement au poids du train qui chemine et proportionnellement au carré de la vitesse, d’où l’on peut calculer qu’un lourd train bien lancé possède en lui une quantité de l’effet mécanique en question égale à celle que pourrait développer une puissante machine à vapeur en travail. On comprend donc qu’avec l’accélération des vitesses l’on rende plus difficile le prompt arrêt d’un train, soit aux stations, soit à la vue d’un obstacle souvent atteint en même temps qu’aperçu.

Prenez mon pare-à-choc ou mon frein instantané! s’écrieront bien des inventeurs. Ces appareils résolvent-ils la question? Nullement. En effet, quelle est-elle? La nature a mis en jeu une force mécanique immense qu’il faut absorber sur un parcours ou dans un temps donné, qu’aucun mécanisme ne peut diminuer, sous peine de causer un choc terrible. Nous la connaissons tous : c’est celle qui nous empêche de suspendre tout à coup notre course; c’est celle qui projette mortellement le malheureux lancé hors d’une voiture emportée, et qui est le principe du coup de tous mobiles qui s’abordent. Admettons, par la puissance du frein, le train cloué surplace en présence d’un obstacle. La conservation du matériel est sans doute assurée; mais les voyageurs n’ont pas dépensé l’effet mécanique dit force vive résidant en eux, et dans leur voiture intacte ils seront projetés contre les parois, ouïes uns contre les autres, avec la violence du boulet lancé par un canon. Les attacherait-on contre les parois avec des lisières, comme les enfans, pour empêcher leur projection, que des désordres plus effroyables encore se produiraient dans le cerveau et la poitrine. C’est là justement ce