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périodique, on lui a donné plus de puissance vaporisatrice. Les compagnies emploient encore une bonne partie de leur matériel d’origine parfois sans doute bien éloignée de sa première forme; mais il y a des locomotives qui atteignent près de 800,000 kilomètres de parcours ayant leurs organes fondamentaux des premiers temps et toutes les qualités d’une machine neuve.

Il est encore intéressant d’étudier comment on utilise les élémens épars du matériel en dissolution jusqu’à cette perte finale qui est la loi de la nature : rien ne se perd, tout se recueille, parce que, dans un grand ensemble, les plus minces détails réunis forment de grosses masses. Le vieux métal retourne aux forges et aux fonderies; les rognures de fer, les tournures de fonte sont recherchées par les aciéristes; les débris du combustible, mêlés à du goudron, se moulent en briquettes ; les traverses en bois qui ne peuvent plus porter les rails se découpent sur une curieuse machine, et deviennent les coins fixant ces rails dans leurs agrafes; les débris forment des fagots précieux pour l’allumage des locomotives.

En somme, il n’y a vraiment que deux cas où le matériel est condamné à un rebut définitif, au dépeçage et au remplacement total : premièrement quand il y a eu vice radical de système ou d’exécution, secondement quand par accident il y a destruction générale rendant la réparation plus coûteuse que l’acquisition d’un matériel neuf. Alors il peut y avoir désastre. Ainsi périssent des entreprises mal commencées, mal conduites; ainsi éclate trop souvent l’imprudence de certains industriels qui fondent à la hâte sans garantie de durée.

Quant aux accidens de chemins de fer, ils émeuvent beaucoup le public, cela se conçoit. De cruelles accusations poursuivent alors les compagnies, auxquelles on ne reproche rien moins que l’insouciance pour la vie humaine. Si l’on savait ce qu’il en coûte de pertes matérielles après la douleur d’avoir fait des victimes, on comprendrait en quel souci ne cesse d’être un directeur pour la sécurité des trains. Essayons de donner quelques chiffres : il ne faut pas une collision bien terrible pour détruire presque en entier les deux locomotives qui s’abordent, et dont le prix varie de 65,000 à 120,000 francs, plus une dizaine de wagons coûtant en moyenne 6,000 francs. En ajoutant les frais de réfection de la voie, la réquisition du demi-bataillon d’hommes de corvée pour rétablir toutes choses, les indemnités, amendes, procès, etc., le coût total d’un accident médiocre atteindra près d’un demi-million.

En somme, si on consulte la statistique, on ne compte pas plus d’une victime sur sept millions de voyageurs en chemin de fer. Lorsque les rapports officiels enregistrent à peine vingt blessés dans la collision d’un train de deux cents voyageurs, on crie presque au