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Nous n’avons pas nommé la France parmi les nations privilégiées pour les matières premières de la mécanique ; elle possède cependant plusieurs usines qui défieront bientôt toute rivalité, pour peu qu’elles soient encouragées. Toutefois, malgré l’intérêt qui s’attache à l’industrie indigène, la nécessité d’avoir un matériel parfait nous oblige à demander à l’étranger ses produits d’élite, au moins à titre de comparaison. Le nouveau régime douanier a favorisé ces introductions, et l’on ne citerait guère de matériaux offrant de sérieuses garanties de durée qui n’aient été reçus à l’épreuve, quels qu’en fussent l’origine et le prix. En ce moment, c’est entre le fer et l’acier que la lutte est ouverte. La France, l’Angleterre, la Prusse surtout, ne cessent de fournir leur contingent à des expériences qui se suivent à grands frais, tant il importe que dans le matériel des chemins de fer on puisse compter sur des matériaux durables et d’une qualité constante.

Ces matériaux étant choisis et prêts à être convertis en organes mécaniques, il y a toute une école d’inventeurs qui, en prévision des ruptures, proposent de multiplier les organes additionnels. Si l’on interroge à ce sujet le praticien consommé, il répondra que chaque complication ajoute aux chances d’avaries, que ces palliatifs sont souvent plus à craindre que l’accident lui-même, et que, s’attaquant au mal dans son essence, la vraie loi de la sécurité est de donner aux machines le maximum de simplicité, en n’y introduisant que des organes si solides, si bien éprouvés, si judicieusement fabriqués, que les ruptures ne se produisent plus qu’à l’état d’exception très rare. Si attentif que soit l’homme, si grande que soit sa prudence, Dieu y a mis sa borne comme à tout ce qui est de son œuvre. Les machines ne peuvent donc pas être absolument garanties contre toute possibilité d’accident; mais, à force de prévoyance dans la construction, on en est venu à une perfection qu’on eût regardée comme un rêve au temps de Jacquard et de Vaucanson.

Le choix rigoureux des matières est le premier moyen d’arriver à cette perfection relative; il faut ensuite donner à ces matières la forme et les dimensions voulues pour une résistance à toute épreuve. Nos anciens traités de mécanique enseignaient que les matériaux ne doivent être soumis dans leur emploi qu’au sixième ou au dixième de leur point de rupture. Sur les chemins de fer, toute pièce qui, en cédant, pourrait causer un accident sérieux est parfois au-delà du vingtième de ce point de rupture, c’est-à-dire que pour la casser il faudrait développer vingt fois l’effort destructeur auquel la soumet son service, ou bien que, pouvant rompre sous une charge de 20 kilogrammes, on ne lui en fait porter qu’un seul qui ne la fatiguera jamais; mais, pour en arriver à ces déterminations, que