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un jour et qu’on a eu à revenir de loin, ce n’est pourtant pas une raison suffisante pour se donner toutes les libertés de l’injure à l’égard de ceux qui, n’ayant pas couru de tels hasards, n’ont pas à faire de tels retours, et il faut en vérité que M. Veuillot, dans le temps de ses dissipations et de ses erreurs, ait beaucoup péché pour avoir à faire de tels actes de contrition sur la poitrine de ses semblables.

Avec ces procédés qui ne respectent rien, avec cette fécondité d’invective, cette liberté du langage sous toutes les formes, cet art du travestissement et de la caricature, et ces lazzis de polémique qui font danser la sarabande aux hommes et aux idées, on peut arriver sans doute à exciter une certaine curiosité. On goûte l’âpre jouissance de l’écrivain qui se fait lire à tout prix sans s’inquiéter des moyens qu’il emploie. On amuse. Celui qui n’est point atteint pour le moment rit du voisin, le blessé du jour, qui lui-même demain rira d’un autre. De jeunes prêtres, dans leur simplicité ou dans leur passion, éblouis par cette gesticulation violente, battront des mains à ce lutteur furieux qui flagelle si bien les ennemis de l’église, qui a une écritoire si ragaillardissante, et même des têtes plus mûres se réjouiront de voir la verve mise cette fois au service de la religion, qui a eu si souvent à souffrir des armes de l’ironie. On a en un mot des succès de polémiste, et on ressemble à ces avocats qui ne résistent pas au plaisir de faire de l’esprit et de l’éloquence au détriment de leur client, faisant fleurir leur renommée dans un cimetière de causes perdues. On amasse le bruit autour de son nom, mais on ne fait pas le bien ; on imprime à une cause le sceau d’une personnalité obsédante, on rétrécit un dogme à la mesure des passions de son esprit, et d’une croyance religieuse qui n’est point apparemment une propriété particulière, qui dans l’inflexibilité même de ses principes primordiaux se plie à toutes les situations, à tous les progrès, à toutes les évolutions légitimes de l’espèce humaine, on fait une secte étroite, exclusive et jalouse. Voilà ce que M. Veuillot a fait, autant qu’il l’a pu, du catholicisme ; il en a fait une secte, moins qu’une secte, un parti. Il s’est créé à lui-même, il a réussi à imposer à quelques-uns, il a voulu imposer à tous un idéal de catholicisme dont le premier et le dernier mot est l’incompatibilité avec la civilisation de notre temps, avec tout ce que croit, tout ce que pense ou pratique l’humanité moderne.

S’agit-il de l’enseignement, M. Veuillot fait cette campagne des classiques dont l’éclat a été, il est vrai, tempéré de quelques déboires. Il veut bannir de l’enseignement cette culture antique qui, sans être le christianisme, a fait des hommes, et qui, après le christianisme, reste encore une des plus merveilleuses manifestations de l’intelligence humaine ; S’agit-il des droits de la conscience, de la