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burlesquement superbes, et quand M. Veuillot parle des Trissotins couronnés ou brodés qui ont fait saigner l’humanité, je ne voudrais pas le voir en fonction et à l’œuvre. Je ne méconnais pas ce qu’il entre de littérature dans ces strophes flamboyantes ; mais enfin il faut toujours se méfier d’un homme qui pendant sa jeunesse, dans un livre de voyage, les Pèlerinages en Suisse, écrit : « Pour moi, ce que je regrette, je l’avoue franchement, c’est qu’on n’ait pas brûlé Jean Hus plus tôt, qu’on n’ait pas également brûlé Luther, » — et qui vingt ans après répète : « Ce que j’écrivais en 1838, je le pense encore. » Littérairement, assure l’auteur, la phrase pourrait être mieux tournée ; moralement, dirai-je, elle n’est pas plus rassurante, et M. Veuillot, qui trouve moyen de songer à la phrase en pareil sujet, est bien sévère pour ses collègues en trissotinisme, puisque trissotinisme il y a.

L’auteur de Çà et Là et du Parfum de Rome a cela de particulier pour son malheur, que tous les défauts, grands ou petits, qu’il croit découvrir chez les lettrés de son temps, et qui provoquent l’explosion de ses dégoûts, il les a sous les plus belles formes, et il les étale avec une naïveté hardie qui ne sait pas se déguiser. Je ne parle plus de ses procédés de libelliste ; mais quoi ! que lui manque-t-il ? M. Louis Veuillot reprochera-t-il aux écrivains ses contemporains d’avoir à un degré trop vif le culte de tout ce qu’ils font, de s’adorer dans leurs plus petits fragmens, de ne rien laisser perdre, d’abaisser leur art jusqu’à l’industrie et de spéculer sur la bonne volonté du public ? Soit, il pourra quelquefois avoir raison ; mais lui-même, il rassemble tout ce qu’il a pensé, tout ce qu’il a écrit, même ce qui aurait besoin aujourd’hui d’un commentaire ; il parsème ses articles des lettres de l’épiscopat pour sa gloire, des lettres du saint-père à sa famille, et il fait douze volumes : douze volumes d’articles de journaux, d’articles de circonstance le plus souvent ! Et s’il est si prodigue, s’il publie quelquefois dans un livre ce qu’il a publié déjà dans un autre livre, c’est qu’il compte sans doute sur la bonne volonté du public dont il est le prophète.

L’auteur des Libres Penseurs reprochera-t-il aux lettrés leur passion de personnalité, leur goût pour l’exhibition, les mémoires et les confidences ? Soit encore ; mais lui-même, sous prétexte de rectification ou d’édification, il suspend un lambeau de sa biographie à toutes les branches ; il vous racontera sa jeunesse et son âge mûr ; il vous dira quel jour il s’est confessé, ce que lui a dit le jésuite son confesseur, quelles aumônes ont passé par ses mains ; il vous racontera les conversations qu’il a eues avec le valet de pied de M. le comte chez qui il est allé en villégiature. L’auteur des Mélanges signale souvent l’absence de l’humilité dans la race littéraire, et certes aucun de ses contemporains n’a eu l’occasion d’un acte d’orgueil