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bruit nocturne des fusillades soudaines, des patrouilles qui passent, des sentinelles qui crient, un dialogue s’engage entre deux statues du jardin, Spartacus, qui se dresse les mains libres, montrant sa chaîne brisée, et Vindex, le rémouleur, qui, le dos courbé, aiguisant sa serpe, écoute d’un air sardonique, montrant son visage ridé par la souffrance et son front chauve. Spartacus, on le comprend, c’est le bourgeois libéral, républicain modéré, parvenu, repu, satisfait à la fois et tremblant de perdre sa victoire ; c’est après tout la société telle quelle, mal assurée et ahurie qui se défend. Vindex le rémouleur, c’est le petit peuple demeuré en bas, toujours déshérité, sentant sur son col meurtri le pied du bourgeois plus dur que le pied de l’aristocrate, flatté, irrité, n’ayant jamais joui et affamé de jouir ; c’est l’insurgé pour le moment. À vrai dire, la partie n’est point égale dans le dialogue. Ce n’est point du côté de Spartacus qu’est l’éloquence. Ce pauvre victorieux, ce satisfait de la veille, a le verbe honteux, l’argument flasque et court ; ce qu’il pourrait dire, il ne le dit pas, cela dérangerait la thèse de l’auteur ; mais le rémouleur Vindex, comme il a la parole stridente et impérieuse, comme il a la logique de sa haine et de sa vengeance ! comme il démontre supérieurement à Spartacus qu’après avoir eu le pouvoir, la fortune et les jouissances, après avoir chassé le noble et le prêtre, il doit à son tour lui céder, à lui Vindex, la place au festin ! Malheureusement le dialogue est tranché par la fusillade : Spartacus triomphe, et Vindex est encore une fois vaincu ; mais il aura son jour.

On voit ici tout de suite et dans son jet le plus éloquent cette pensée qui ne connaît point de milieu, qui dit à tout instant, en montrant la multitude : « Il faut la jeter à genoux ou la mener à l’assaut, » et dont le dernier mot pour la société laïque est l’abdication de son principe et de ses conquêtes ou la mort par le fer de l’insurgé moralement justifié. Que M. Veuillot soit catholique avec cela, il l’est tout au moins en homme qui a tout ce qu’il faut pour faire un démagogue, qui a le tempérament du factieux. Il représente dans notre temps quelqu’un de ces prédicateurs de la ligue, fanatiques du passé avec l’allure et le langage démocratiques, qui échauffaient la foule de leurs excitations et se déchaînaient dans la chaire contre les auteurs de la Ménippée, contre les ligueurs modérés, contre les politiques, contre les bourgeois. La chaire aujourd’hui, c’est la presse.

Il y a un autre trait sensible chez M. Veuillot. L’auteur de Çà et Là se croit évidemment d’une nature particulière et supérieure comme penseur ; il a la prétention d’être un écrivain du premier vol. Tous les autres ne sont, à son jugement, que de médiocres plumitifs barbouillant un français équivoque. Il est plein de mépris pour les petites gens et même pour les grandes gens, pour les