à l’hôpital l’année même où le Tasse entrait à Sainte-Anne. Et puis je pensai à un autre homme encore, grand écrivain comme le Tasse, visionnaire comme le Tasse, hypocondre et mélancolique comme le Tasse, comme le Tasse faible de caractère, comme le Tasse encore pauvre et vagabond. « Celui-là, me disais-je, a su rester fier dans sa pauvreté ; il n’a jamais tendu la main, il n’a jamais demandé de coupe d’argent à la maréchale de Luxembourg ; au moment où son nom remplissait le monde, il copiait de la musique pour vivre, et, refusant avec une hauteur bourrue les présens des grands, il écrivait à une marquise qui lui avait envoyé malgré lui des poulardes : « Je les ai mangées, vos poulardes, et ce que je puis faire de mieux, c’est de les oublier… » « Chose bizarre ! me disais-je encore ; de ces deux hommes, celui qui a été fier n’était pas le gentilhomme ; dans sa jeunesse, il avait été laquais, et c’est ce laquais dont les écrits ont allumé dans l’âme d’un grand peuple une fureur de liberté qui est allée jusqu’à la frénésie !… Le Tasse, Camoëns, Jean-Jacques, les jeux de la destinée, le génie différent des siècles, les mille espèces d’argile dont sont pétris nos cœurs,… il y a là de quoi rêver longtemps. »
— Ne rêvons pas trop, dit Mme Roch, et dépêchons-nous de repartir pour Rome, car il se fait tard.
— Madame, ce n’est pas à Rome que nous irons, mais à Albano, sur le versant occidental des monts albains, du côté de la mer, et, pour nous y rendre, nous suivrons une route admirable qui, comme un chemin de ronde, fait tout le tour de la montagne en courant à mi-côte.
— Mais, au nom du ciel ! qu’allons-nous faire à Albano ?
— L’abbé Spinetta, reprit le baron Théodore, avait invité à dîner quelques ecclésiastiques. On allait se mettre à table quand, à propos de je ne sais quoi, ces messieurs vinrent à parler du prince Vitale. On vanta les vertus de cette âme singulière, on raconta quelques traits de son admirable bonté. Je me souviens qu’un jeune abbé qui, lui, n’avait pas l’air bon, s’étant permis d’insinuer avec un sourire aigre-doux que le prince avait dans l’esprit des bizarreries dont tout le monde ne s’accommodait pas, monseigneur Spinetta, d’un ton vif : — Eh ! monsieur, tous les saints ont leur petit grain de folie, et, croyez-moi, ces folies-là plaisent au bon Dieu !… Mais ce qui m’intéressa plus que tout le reste, ce fut d’apprendre que le prince était allé passer deux jours à Albano, où il possède une terre. Malgré les instances de mon aimable amphitryon, je trouvai un prétexte honnête pour m’échapper, je courus à l’hôtel, je fis atteler, et fouette cocher ! me voilà parti pour Albano.
Pendant cette promenade de près de trois heures, je repassai dans