Et maintenant, monsieur le baron, prêtez attentionné vous prie. Quel est ce rôle que le Tasse se flatta de jouer dans la grande mascarade humaine ?
Représentez-vous un jeune poète doué d’un beau génie et d’une âme passionnée, confiante et expansive, ardent dans ses désirs, vaste dans ses pensées, une imagination vive et délicate, et, chose singulière ! le goût des abstractions et des syllogismes, beaucoup de subtilités, mais moins de bon sens que de finesse, un de ces esprits plus raisonneurs que raisonnables, qui ne s’arrêtent pas à mi-chemin dans la logique de l’erreur et qui s’égarent avec méthode ; avec cela aspirant à tout, ne doutant de rien, un platonicien, un idéaliste disant à tout coup : Cela est, car cela doit être. Notre jeune poète n’est plus un inconnu ; il a déjà composé un poème, le Rinaldo, qui a fait quelque bruit dans le monde ; aussi bien il porte son génie sur son front et dans ses beaux yeux couleur d’émeraude. Il arrive dans une cour où règne le culte pour tous les talens qui embellissent la vie. Il ne tarde pas à percer ; il est accueilli, caressé, admiré ; on se dispute le moindre quatrain tombé de sa plume, on recherche avidement l’honneur d’être nommé dans ses vers. De belles et séduisantes princesses lui prodiguent les attentions flatteuses ; il a un libre accès auprès d’elles, elles se plaisent à l’entretenir dans le tête-à-tête, il les suit même à la campagne, dans ces retraites délicieuses où elles vont se reposer des dissipations de la cour. Là il erre avec elles le long des allées d’un jardin fleuri, il leur ouvre son cœur, il leur confie ses projets et ses rêves, il leur récite ses plus beaux vers, et pendant qu’elles l’écoutent, leurs regards, parlant pour elles, font courir dans tout son être un long frémissement de joie et d’orgueil. Ces hommages, ces empressemens l’exaltent, le grisent plus qu’ils ne le touchent, car n’oubliez pas qu’il est plus passionné que tendre, n’oubliez pas qu’il connaît son mérite, qu’il sait ce qu’il vaut, et qu’un jour il écrira naïvement à un ami : « Je veux écrire mon éloge, je m’y donnerai la première place parmi les poètes et un rang honorable parmi les orateurs et les philosophes… » Le voilà donc devenu l’enfant gâté de cette cour si brillante ; on a pour sa fierté des ménagemens infinis, on fait des passe-droits en sa faveur. Gentilhomme de mince étoffe et très court de finance, il aurait dû, selon l’usage, manger dans cette espèce d’office qu’on appelait le tinello ; on lui permet de se faire servir dans sa chambre, et plus tard on l’admet à la table ordinaire. Point de réjouissances, point de fêtes où il ne soit convié ; il a ses grandes et petites entrées. Tout à l’heure, la faveur signalée dont il jouit va croître encore, quand l’une des productions les plus exquises de son génie, l’Aminta, sera représentée sur le