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et fermes ; mais entre les sommités de la Sabine et la mer s’élève un groupe isolé de montagnes d’une beauté singulière : ce sont les monts albains, façonnés par le dieu du feu, qui les a pétris dans la lave et le basalte, vaste cratère éteint qui charme les yeux par ses formes délicatement arrondies, par ses lignes suaves, molles et fuyantes ; car si Neptune s’entend à équarrir la pierre, Vulcain est sans contredit le premier tourneur de l’univers. De Rome, les monts albains sont merveilleux à contempler, et pendant que le regard en suit les contours, qui semblent courir à l’horizon et glisser légèrement pour s’enfoncer dans un lointain vaporeux, l’âme se sent sollicitée à je ne sais quelle fuite infinie dans l’espace et dans l’inconnu. Vus de plus près, ces volcans éteints sont plus beaux encore. Sur ces pentes, dont toutes les aspérités ont été aplanies par des coulées de lave, une végétation luxuriante dont rien n’approche a jeté un manteau de splendide verdure tachetée d’or et de pourpre. À vrai dire, c’est là que commence la Campanie, la féconde, la voluptueuse Campanie, éternel soupir du peuple romain qui, par la voix de ses tribuns, par la plus d’une fois de déserter les sept collines pour se transporter dans cet heureux séjour, et qui fût parti peut-être, s’il n’eût été retenu par le cri de ses dieux indignés, par l’éloquence de Cicéron et par le sourcil de Caton. Sur les bords escarpés du cratère, de frais pâturages ; plus bas de sombres forêts, des bocages, de rians vergers ; dans les percées des fourrés, des pelouses, des pampres, des moissons, des jardins fleuris, des villas, des palais, des couvens, des lacs profonds dont l’azur est enchâssé dans de noirs rochers pendans, des prairies où broute un riche bétail, des routes dignes du peuple-roi serpentant sous des ombrages séculaires ; çà et là quelque village suspendu aux flancs d’un cône de basalte et dont les maisonnettes blanches semblent grimper en désordre comme un troupeau de chèvres effarées ; ailleurs, des bourgades fièrement campées sur leur plate-forme, avec leurs imposantes murailles crénelées, avec leurs ruines antiques, avec leurs châteaux-forts, avec leurs églises et leurs dômes, où le Dominiquin et le Guide ont laissé des traces impérissables de leur passage ; partout un air d’abondance, de richesse prodigue d’elle-même, une facilité sans pareille de vivre et de respirer, une pompe agreste, une sorte de majesté végétale, comme si, dans ces lieux où la légende fait naître Romulus, la nature elle-même se sentait un cœur de Romaine ! enfin, pour compléter le tableau, travaillant dans leurs jardins ou, le fuseau à la main, ouvrageant de la dentelle, une race de contadines qu’on prendrait pour des statues dont le sein de marbre a reçu par miracle le feu sacré de la vie, ou, mieux encore, pour des Junons ennuyées du ciel, qui sont venues ranimer leur langueur