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où est la fille ? — Monsieur, de quelle fille parlez-vous ? — Monsieur, il faut rendre la fille à ses parens, nous verrons après. — Eh ! que diable !… — Monsieur, ne jurez pas et rendez la fille. Croyez-vous que je me prête à cette infamie ? Pour qui me prenez-vous ? — Je vous prends, lui dis-je en colère, pour ce qu’il vous plaira ; mais ne me rompez plus la tête ! — Il se mit à crier, je criai plus fort que lui. Nous faisions un vacarme à réveiller un mort. Enfin je vis clair dans ce quiproquo. L’infâme Scipion avait persuadé à cet honnête curé que je venais d’enlever une fille à ses parens et que je cherchais un prêtre qui nous unît par un mariage clandestin. Le gros abbé n’en voulait pas démordre, et, les poings sur les hanches, il s’obstinait à me redemander la fille : outré de fureur, je lui tournai le dos et gagnai la porte. Je courus à l’hôtel, fis atteler ma voiture, et, haletant, suffoquant, harassé, enroué, je repris la route de Rome en donnant à tous les diables Tivoli, ses mamelons, ses robinets, le temple de la Toux, la fille que je n’avais pas enlevée et toute la race des Scipions.

— Eh bien ! dit Mme Roch, qu’était donc devenue cette fameuse patience flamande ?

— Eh ! madame, dit-il, Carthage passait pour imprenable, et cependant Scipion l’a prise.

— Ne maudissez pas Tivoli, dit le notaire. Il est beau d’avoir souffert pour le Tasse et conquis une place dans le martyrologe de la science.

— Voilà précisément ce que je me dis en arrivant à Rome, et pour surcroît de consolation je trouvai chez moi un billet ainsi conçu : « Mon cher ami, je vous ai fort mal reçu cette nuit. Un homme qu’on réveille en sursaut n’est pas aimable. Je me suis repenti de ma maussaderie, et pour la réparer je suis allé ce matin aux informations. C’est à Frascati que demeure mons Spinetta. Allez le voir quand il vous plaira. Je lui ai fait tenir quelques mots par un exprès pour le prévenir de votre visite. — Votre César. » Oh ! ce bravé marquis ! m’écriai-je, et là-dessus je me mis au lit et dormis quatre heures. Au point du jour, je m’éveillai, je me levai, je fis atteler ma voiture et je partis pour Frascati.

— Partons, dit Mme Roch ; mais trouverons-nous là-bas des entonnoirs comme à Tivoli ?

— Quelle différence, madame ! Frascati et Tivoli, ce sont deux mondes. Les hauteurs qui forment le cadre de cette admirable campagne de Rome, à laquelle rien ne ressemble, sont les unes l’ouvrage de l’eau, les autres du feu. L’Apennin et ses ramifications ont été bâties par Neptune à chaux et à sable, construction solide, aux assises réglées, aux plans énergiquement ressentis, aux arêtes vives