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d’entonnoirs et de robinets qui se puisse voir. Imaginez un peu ce que cela devient quand on a eu le malheur de se laisser embâter d’un de ces ciceroni qui ne vous font pas grâce d’une cascatelle !

— Vous vous moquez, mon cher baron ! dit le notaire B… Mon cousin George, qui a passé huit jours à Tivoli, déclare que c’est le plus beau lieu du monde, un vrai paradis !

— Votre cousin George, reprit-il, a peut-être le goût des entonnoirs ; il en a trouvé, le voilà content. Moi, je cherchais monseigneur Spinetta, je ne le trouvai pas, et je ne fus pas content. Enfin écoutez et jugez. J’arrive à Tivoli, je descends à l’hôtel de la Regina ; je déjeune. Un cicérone survient, qui s’appelait Scipion. Ne pensez pas à Scipion l’Africain. Ce Scipion-là a la mine chafouine, le poil roux, le regard louche, un air d’effronterie servile. Et quel baragouin ! Je n’en comprenais pas le quart. Ce fut, à vrai dire, mon seul bonheur de la journée. Cependant je devinai qu’il m’offrait ses services : il m’énuméra tous les princes russes et les seigneurs anglais qu’il avait honorés de ses bontés et qui s’étaient loués de son rare savoir. Il me prémunit contre ses confrères, gens ignares et de mauvaise foi, qui ne montraient aux étrangers que vingt-deux cascades : lui, Scipion, m’en ferait voir vingt-cinq et demi, et par-dessus le marché les cascatelles, la villa de Catulle, la madone miraculeuse de Quintiliolo, le temple de la Toux… — Mon ami, interrompis-je, je n’ai que faire de tes vingt-cinq cascades et du temple de la Toux. Je suis venu ici pour voir monseigneur Spinetta. Si tu peux me conduire chez lui, tu auras trois paoli pour tes peines. — Il se mit à caracoler. — Excellence, s’écria-t-il, c’est la madone qui vous a adressé à moi. Je connais à fond monsignor Spinetta, je sais sur le bout du doigt ses usanze. Tout à l’heure je l’ai vu passer, il allait à la promenade. Suivez-moi : dans deux minutes, nous l’aurons rejoint. — Nous sortons, et de cascade en cascade nous arrivons aux cascatelles. Je vous fais grâce des litanies dont m’étourdissait mon bredouilleur. Chaque entonnoir me valait un long récit, chaque robinet une harangue. — Monsieur Scipion, lui disais-je, gardez vos histoires pour les princes russes, et conduisez-moi vers monsignor. — À ces mots, pliant son échine : — Excellence, je veux mourir en péché mortel si monsignor n’a passé par ici. Andiamo, andiamo ! — Et il me câlinait, m’enjôlait. Je suis un bonhomme ; les Scipions ont beau jeu avec moi. Je me laissai emmener si loin qu’il n’était plus question de revenir sur mes pas… Madame, la chaleur était dévorante ; pendant trois mortelles heures, nous cheminâmes parmi des rochers ardens qui me grillaient jusqu’aux os. Bien que dans ma colère j’eusse défendu à M. Scipion de me redire un mot de ses maudits robinets, le bourreau ne déparlait pas. Il s’était rabattu sur la madone