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cause impériale, de telle sorte que le désordre est partout, que les Chinois ont aujourd’hui deux ennemis au lieu d’un, et que les paisibles habitans des villes en sont réduite à s’organiser de leur mieux en gardes civiques et à se défendre tout seuls. Voilà la situation, et cela dure depuis plusieurs années. Combien de temps cela durera-t-il encore? C’est ce que l’on ne saurait dire; mais il faut vraiment que le prestige de l’autorité impériale soit bien solide pour avoir résisté jusqu’ici à de telles épreuves. Dans tout autre pays, il y a longtemps que la révolution serait faite et qu’un pareil gouvernement n’existerait plus.

Il aurait manqué quelque chose à l’expédition, si elle n’avait eu, elle aussi, à brûler un peu de poudre. Cette satisfaction lui fut donnée à Ping-shan. A son arrivée, elle avait réussi à se concilier les bonnes grâces du préfet, qui apprit sans déplaisir que les Chinois et les Européens s’étaient mis d’accord en vertu des traités de Tien-tsin, dont il entendait parler pour la première fois; elle était donc entrée sans difficulté dans la ville, elle y avait circulé librement au milieu d’une population qui, malgré l’état de siège, paraissait très inoffensive, et ce bon accueil l’avait décidée à y prendre ses quartiers d’été pour attendre une chance favorable qui lui eût peut-être permis de réaliser le rêve de Ching-tow. Tout à coup ces heureuses dispositions se changèrent en défiance : le bruit se répandit que ces étrangers avaient des intelligences avec les insurgés; le mandarin, tout en protestant de son bon vouloir personnel, déclara qu’il ne pouvait résister aux désirs du peuple, et il conseilla, puis ordonna aux Anglais de s’éloigner au plus vite. A la fin, les habitans, de Ping-shan montèrent sur leurs remparts, plantèrent fièrement leurs petits drapeaux, et ouvrirent le feu sur la jonque. Plusieurs décharges se succédèrent, et personne ne fut atteint. Ce n’était donc qu’un feu d’artifice et une manœuvre d’intimidation. M. Blakiston pense que les armes de Ping-shan n’étaient chargées qu’à poudre, et qu’il en est ainsi dans la plupart des batailles chinoises. Après cette petite échauffourée et en présence de la confusion où l’attaque des rebelles avait jeté le pays, on ne pouvait songer à rester devant la ville ni à pousser plus loin. Le 30 mai, l’expédition vira de bord et reprit tranquillement, en descendant le fleuve, la route de Han-kow et de Shang-haï.

Tel est le récit abrégé de cette expédition qui, avec les apparences d’une simple promenade de touristes, peut être considérée comme une avant-garde, équipée à la légère, de l’Europe marchant, à la découverte et à la conquête pacifique du Haut-Kiang. Nous avons suivi pas à pas M. Blakiston à travers les incidens et les aventures de son curieux voyage; nous avons débarqué avec lui dans les