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peut-être au point de vue social, échappera à notre action et rendra stériles, par sa résistance passive, les conquêtes de l’intérêt et de la force. À en juger par le témoignage de M. Blakiston, nous, n’avons point cessé de passer pour des barbares aux yeux de cette plus belle moitié du genre chinois ; les impressions des femmes sont absolument les mêmes à cet égard dans toutes les régions de l’empire, et les voyageurs qui consentent à ne décrire que ce qu’ils voient se trouvent obligés de reconnaître l’importante lacune que présentent nécessairement leurs récits : la femme manque ; les pages qui devraient lui être consacrées dans toute relation un peu complète restent blanches ; on ne mentionne ce sujet si intéressant que pour exprimer le regret de n’en pouvoir rien dire. Le temps viendra peut-être où les Chinoises voudront bien relever leur voile et accepter l’innocente familiarité d’un regard européen. En attendant, il faut se contenter de ce que la Chine nous laisse voir. Le Yang-tse-kiang suffit à notre curiosité.

Aussi bien, si l’on est à la recherche d’une nature ondoyante et diverse, on n’a qu’à observer ce grand fleuve et ses rives. Tout à l’heure c’était un torrent resserré entre des montagnes et roulant sur un lit de roches ; maintenant c’est une large et calme nappe d’eau s’étendant au milieu d’une vaste plaine. Les montagnes se sont retirées et n’apparaissent plus qu’à l’horizon, formant une chaîne à peu près régulière. La culture monte en quelque sorte jusqu’à leur sommet, que couronnent souvent les toits des pagodes. À l’approche de chaque village, on aperçoit un ou plusieurs de ces élégans édifices à sept ou neuf étages (le nombre est toujours impair), qui contiennent un autel consacré sans doute au bon génie du lieu. La plus remarquable de ces pagodes est celle de Chi-po-waï, à trente milles environ au-dessus de Wan. Les neuf étages de la pagode de Chi-po-waï sont adossés à un énorme bloc de rochers, de 60 mètres de haut, qui domine toute la vallée. Les Chinois font remonter cette construction à quinze siècles. Plus loin, autour de Foung-tou, ville de second ordre, où le Yang-tse-kiang reçoit les eaux d’un affluent assez considérable, s’élèvent quatre pagodes entourées de temples et de couvens. Toute la contrée est ainsi peuplée de pagodes. Faut-il voir dans ces édifices d’une architecture si singulière et bien connue une manifestation de la piété ou de la superstition des Chinois ? C’est la première idée qui se présente à l’esprit ; mais si l’on considère que les pagodes ne sont pas également réparties dans toutes les régions, qu’elles sont construites ordinairement sur des hauteurs, aux abords des villes et des fleuves, on peut admettre qu’elles avaient dans l’origine un but d’utilité, qu’elles servaient à signaler soit l’approche d’un ennemi, soit la crue des eaux, et que plus tard seulement, par suite de la reconnaissance