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rochers, on en reconnaît la présence au caractère accidenté des rives qui sont de la même formation. Dans les gorges, la navigation est plutôt pénible que dangereuse ; on peut toujours, à la voile ou à l’aviron, vaincre le courant. Les bords sont à pic, et, si le passage est étroit, on n’a pas à craindre de rochers ni de bas-fonds. Il n’en est pas de même à la remonte des rapides. Ici la manœuvre est plus compliquée. Le patron débarque la majeure partie de son équipage, il va recruter dans les environs les renforts qui lui sont nécessaires, et quand tout ce personnel, qui s’élève ordinairement à une centaine d’hommes, est rangé en bon ordre sur le rivage, il l’attelle à une amarre fixée à l’avant du bateau ou au pied du mât, et il donne le signal du départ. La troupe s’ébranle, marque le pas en chantant et entraîne le bateau ; mais comme il n’y a pas de chemin de halage, et que dans ces endroits le rivage est toujours très inégal, la traction présente de grandes difficultés. Souvent la tête de colonne apparaît au sommet d’une crête de rochers, tandis que le milieu est enfoncé dans un ravin, et il faut à tout moment presser ou ralentir la marche, tendre ou détendre l’amarre, changer la direction selon les caprices du terrain ou pour contourner les roches qui se montrent irrégulièrement sur le fleuve, et contre lesquelles le bâtiment risquerait de se briser. Puis surviennent les accidens. Tantôt l’amarre se rompt, et tout s’en va à la dérive, tantôt le bateau se heurte et demeure arrêté contre un banc de rochers caché sous l’eau. Malgré l’adresse et, la patience des Chinois, qui sont très habitués à ces manœuvres, le passage d’un rapide est toujours chose délicate, et même périlleuse, à cause du courant dont la vitesse est extrême, des tourbillons et des bas-fonds. L’expédition put franchir sans encombre tous ces obstacles, et après une laborieuse navigation de trois jours, constamment passés au fond des gorges et au milieu des rapides, elle arriva devant Quei-chow, l’une des principales villes de la province du Ssé-tchouen.

Il s’agissait de décider si l’on continuerait le voyage par eau ou s’il valait mieux prendre la route de terre pour gagner Ching-tou, capitale de la province. A cet effet, deux membres de l’expédition se rendirent à l’hôtel du gouverneur, après avoir au préalable, selon l’étiquette chinoise, envoyé leur carte de visite. Admis sans difficulté en présence du haut fonctionnaire, ils commencèrent par lui exhiber leurs passeports ; puis ils lui demandèrent sa protection et ses conseils au sujet de la route qu’ils avaient à suivre, et dans le cours de la conversation ils ne manquèrent pas de lui parler du traité de Tien-tsin. Le gouverneur avait appris vaguement qu’il existait une convention récemment conclue avec les Européens à la suite de quelques démêlés qui s’étaient produits sur le littoral, mais il ne l’avait jamais lue. Aucun exemplaire du traité