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nous des sociétés de sauveteurs : tant il est vrai que ce vieil empire nous a devancés en tout et pour tout, en philanthropie comme en littérature et en politique ! Il a connu tout ce que nous prétendons avoir découvert, et il pratique de temps immémorial toutes les idées, toutes les institutions dont nous aimons à nous attribuer le privilège. Il n’y a pas de brevet d’invention qui puisse prévaloir contre l’antériorité chinoise. Il en est de toutes choses comme de ce simple détail que nous rencontrons en passant. La Chine avait les bateaux de sauvetage : nous n’avons inventé que les médailles.

Les bâtimens qui remontent au-delà de I-chang sont construits dans la province du Ssé-tchouen et présentent une forme particulière. Ils sont à fond plat, avec l’avant carré et l’arrière arrondi, système de construction qui diffère complètement du modèle ordinaire des jonques, et qui est approprié aux difficultés de la navigation dans cette partie du fleuve. L’expédition opéra son transbordement sur l’un de ces bâtimens, non sans regretter sa première jonque, dont les aménagemens intérieurs étaient beaucoup plus comfortables, et elle se mit en route, le 5 avril, pour se rendre à Quei-chow, à trente lieues environ d’I-chang. A peine a-t-on perdu de vue les murailles de cette ville, que le paysage change d’aspect. Jusque-là, le Yang-tse-kiang roule ses eaux larges et profondes entre deux rives à peu près plates qui laissent à découvert une vaste étendue de campagne, et dans le lointain une suite de timides collines qui çà et là découpent et festonnent la bande de l’horizon : nature tranquille et simple dans ses grandes proportions, nivelée par le travail de l’homme et dépouillée du charme pittoresque. Nous voici maintenant dans des parages tout nouveaux, où l’artiste peut prendre ses crayons. Le fleuve se resserre subitement ; il n’a plus que 200 mètres de largeur : ses rives se dressent en montagnes de rochers dont la hauteur varie de 70 à 120 mètres. Le Yang-tse-kiang se précipite comme un torrent entre ces remparts de pierres à travers lesquels s’échappe une végétation vigoureuse dont le sombre feuillage étend la nuit sur ses eaux. Telle est la gorge d’I-chang, qui se prolonge sur une étendue de plusieurs lieues, et dont M. Blakiston nous décrit avec admiration les aspects sauvages et grandioses. Il y a entre I-chang et Quei-chow plusieurs gorges semblables. C’est là également que se rencontrent les rapides ou les cataractes du Yang-tse-kiang, comme si la nature, jalouse du noble fleuve, avait voulu lui disputer le passage en accumulant sur le même point tous les obstacles, pour le laisser ensuite reprendre librement sa course vers l’Océan avec la majesté du triomphe.

Les rapides s’annoncent par de nombreux blocs de rochers qui sortent du lit du fleuve et qui ont quelquefois les proportions d’une île. Lorsque, dans les grandes crues, l’eau couvre entièrement ces