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cace, décidé d’avance à plaider tous les procès des nations opprimées et à les perdre avec une inertie égoïste.

Il fut un temps où les libéraux anglais, les whigs de la vieille école, ne comprenaient pas la distraction et l’inaction de leur pays à l’époque du premier partage de la Pologne. « Ah ! disaient-ils, si nous eussions été alors au pouvoir, ce n’est pas nous qui eussions laissé accomplir ce crime presque aussi déshonorant pour ceux qui en ont été les impassibles témoins que pour ceux qui l’ont commis ! » L’effort héroïque tenté sous nos yeux par les Polonais offre à notre génération, aux libéraux anglais aussi bien qu’à nous, une occasion unique d’éviter pour eux-mêmes la faute de leurs prédécesseurs et de la réparer. Et c’est l’homme qui a conservé vivantes en lui les plus belles traditions du parti whig, c’est le comte Russell qui, en face d’une telle occasion, dirige et marque de son nom la politique étrangère de l’Angleterre ! Nous comprenons l’embarras que ces réflexions, ces comparaisons, ces souvenirs commencent à créer dans l’esprit des hommes d’état anglais et dans l’opinion britannique. Le Times avoue depuis quelques jours cet embarras avec une grande franchise ; il semble qu’il veuille préparer le public anglais à la perspective d’une politique plus énergique et plus digne en lui montrant les inconséquences et la piteuse allure d’une politique qui parle et n’agit point. Maintenant, si l’on voulait décider l’Angleterre, laquelle ne manquerait pas d’entraîner l’Autriche, croirait-on qu’il fût d’une bonne politique à la France de feindre pour la Pologne moins de chaleur qu’elle n’en ressent réellement, et de donner à entendre qu’elle mesurera son action, son initiative, ses sacrifices, au concours que les autres puissances donneront à la cause polonaise ? Nous n’avons point, quant à nous, une telle pensée. Nous sommes convaincus que plus la France, donnant du reste des gages positifs de son désintéressement, se montrera résolue à ne point laisser frapper de stérilité l’intervention qu’elle a commencée en faveur de la Pologne, et mieux elle viendra à bout par la fermeté de ses desseins et l’émulation de son exemple des incertitudes et de l’inertie de l’Autriche et de l’Angleterre.

Quant aux six points que lord Palmerston a fait connaître, lors même qu’ils seraient acceptés momentanément par la Russie comme base d’une négociation dilatoire, il serait puéril, on peut l’affirmer dès à présent, d’y voir un moyen de pacification sérieuse pour la Pologne. Tout ce que les Polonais déploient d’esprit de sacrifice et d’énergie désespérée n’est point en proportion avec le mince résultat que la diplomatie, contenue par les traités, sollicite pour eux. Jamais peuple, par l’étendue de son dévouement patriotique, n’a donné de preuves de sa vitalité nationale pareilles à celles que les Polonais prodiguent en ce moment sous nos yeux. Pour voir affronter la mort et les supplices avec cette passion et cette résignation de martyr, il faut remonter au temps des premiers, chrétiens. Ce témoignage par leur propre sang que les Polonais rendent à l’immortalité de leur patrie doit rassurer les politiques positifs de l’Europe sur les chances sérieuses