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serait-il pas fâcheux que ces forces volontaires, douées de sentiment, perdissent le ressort qui les anime, et que le conseil officiel d’éducation, appuyé sur la dotation du trésor, absorbât peu à peu ou réduisît dans leur concours les associations d’hommes de bien qui ont pris la tâche quand elle était ingrate, y ont intéressé la générosité publique, et qui, les premiers à la peine, doivent rester les premiers à l’honneur ?

Faut-il, pour conclure, rapprocher l’état respectif de l’enseignement en France et en Angleterre ? Si l’on s’en tient aux chiffres, on a les apparences plutôt que la réalité ; en France, 65,000 écoles laïques ou religieuses avec 4 millions d’enfans contre 45,000 écoles en Angleterre avec 3,700,000 enfans. Les proportions se balancent ; mais, pour l’un et l’autre pays, il y a dans ces calculs beaucoup de fictions, de non-valeurs, de déclarations qui manquent de sincérité. Ce n’est d’ailleurs là qu’un des côtés de la question, et le moindre assurément. Le nombre des institutions n’est pas sans doute un signe à dédaigner ; il en est pourtant un autre plus sûr, c’est de voir comment elles agissent et quels sentimens elles inspirent aux populations. Aux fruits qu’elles portent, on reconnaîtra les meilleures. Le problème ainsi posé ne laisse pas à l’esprit toute sa liberté. On n’est pas bon juge quand on est partie, et on a tout aussi mauvaise grâce à se condamner soi-même qu’à condamner autrui. Tout ce qu’il est permis de dire sans vouloir trancher le différend, c’est que l’enseignement remis à un grand corps constitué qui confère les grades, favorise ou exclut, dispose des volontés et règle les actes, est une école d’obéissance, sujette, il est vrai, à des retours. Là au contraire où les modes d’instruire sont plus variés, livrés à un plus grand nombre de dévouemens, contenus par moins d’entraves, il y a plus de chances que les caractères s’élèvent, et qu’une plus grande place soit laissée aux sentimens de dignité et d’indépendance personnelles.


LOUIS REYBAUD, de l'Institut.