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privé eut un moment le dessein de les former lui-même dans un établissement créé et soutenu à ses frais. Il fonda une école normale primaire dans Kneller-Hall. Après quelques années d’essai, il fallut y renoncer. Les sujets capables qui sortaient de cette école normale se sentaient peu de goût pour les fonctions auxquelles on les destinait. Les uns craignaient d’être enveloppés dans la déchéance qui pesait sur le siège de leur enseignement ; d’autres reculaient devant une tâche pleine de déboires sans compensation et qui aggravait les souffrances de l’esprit et du cœur par des désagrémens matériels. C’était tantôt le logement plein d’odeurs infectes, tantôt l’heure mal calculée des repas ; ici le bois, le charbon manquaient même au cœur de l’hiver, et les chambres se changeaient en glacières. Tout dépendait, dans ce régime mixte, d’un caprice des gardiens, d’une rancune du directeur. Aucune situation en effet n’était et ne reste plus précaire que celle d’un maître d’école dans un workhouse. Son traitement est fixé par les gardiens et payé par le trésor, conformément à une échelle que dressent les commissaires des pauvres. Son rang dans cette échelle et par conséquent le chiffre de son traitement sont à la merci d’un inspecteur du conseil privé, tandis que le bureau des commissaires a seul le droit de prononcer sa révocation. Ces inconséquences, ces conflits d’attributions affectent la discipline des écoles et en éloignent les hommes qui pourraient, par leurs leçons et leur exemple, y produire quelque bien. Dans ce mélange des pouvoirs, personne en réalité ne commande et par conséquent personne n’obéit. Aussi règne-t-il dans ces maisons, sous un ordre apparent, une dissolution incurable. Rien n’est plus affligeant que les témoignages recueillis à ce sujet. Interrogé sur les résultats qu’il a obtenus, le maître d’une de ces écoles répond : « Sur trente-neuf élèves qui m’ont passé par les mains, deux ont été condamnés à la transportation pour dix ans, quatre pour quinze ans, un pour vingt ans, douze ont été emprisonnés, huit ont été classés parmi les pauvres inscrits, sept tout au plus se sont utilement employés, le reste peut passer à bon droit pour suspect. » Et afin qu’on ne prenne pas ces faits déplorables pour une exception, le même instituteur ajoute laconiquement : « Il en est ainsi dans presque toutes nos écoles de garçons. »

Les écoles de filles ne sont pas dans un meilleur état ; le côté faible est ici moins dans le personnel enseignant que dans le programme de l’éducation. Les institutrices y visent volontiers à l’apparat, et dirigent trop les études en vue de la collation des grades, qui suivra les visites de l’inspecteur du conseil privé. Au lieu d’appuyer sur les notions qui mettraient leurs élèves à même de tirer un prix de leurs services, elles meublent leur mémoire de détails oiseux, et dans la