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De toutes parts, sur notre chemin, régnait par la ville une animation extraordinaire en même temps qu’un ordre parfait. En passant, nous vîmes un saltimbanque, un diseur de bonne aventure, une femme qui montrait des oiseaux apprivoisés, un homme qui, pour quelques cenis (petite monnaie de cuivre), faisait voir un gigantesque chat sauvage. Un tour de saltimbanque excita particulièrement mon attention par l’adresse gracieuse avec laquelle il fut exécuté. Le saltimbanque produisit un grand papillon en papier, mais si parfaitement imité qu’à la distance de quelques pas on aurait pu croire l’insecte vivant. Il jeta ce papillon en l’air, puis, en agitant habilement son éventail, il le maintint au-dessus de sa tête, le fit voltiger, monter et descendre en imprimant à tous ses mouvemens l’apparence d’un être animé ; il finit par laisser s’élever ce papillon à une hauteur assez grande, d’où il retomba lentement, les larges ailes lui servant de parachute, sur une fleur que le saltimbanque tenait à la main.

Le cirque des lutteurs, où nous nous rendions, était, quoique spacieux, encombré de spectateurs ; mais on nous avait réservé de bornes places, d’où on voyait aisément tout ce qui se passait. Il y avait au centre une estrade circulaire, élevée de deux pieds au-dessus du sol et d’un diamètre de vingt pieds environ. Le plancher était garni d’un lit de paille, recouvert d’une épaisse couche de sable fin, afin d’amortir les chutes ou de les rendre moins périlleuses. La surface de l’arène était légèrement concave. Quant aux lutteurs, je n’ai jamais vu d’hommes si gros et si épais ; c’étaient de véritables colosses, des Bacchus de six pieds, dont le plus mince pesait deux cents livres, et dont le chef atteignait, comme on le disait avec orgueil, au poids de trois cent quarante livres. Ces choix paraissent bizarres, mais ils sont justifiés par la nature de l’exercice auquel les lutteurs japonais doivent se livrer. Rester maître de l’arène et en expulser son adversaire, tel est l’objet de la lutte. Pour en arriver là, une forte corpulence est d’un puissant secours, et c’est pour cela que les lutteurs se recrutent parmi les hommes les plus lourds qu’on puisse trouver. Ceux qui allaient s’exercer devant nous étaient presque nus, car ils ne portaient qu’une écharpe en soie verte étroitement serrée autour des reins. Accroupis le long de l’estrade, fixant devant eux des regards stupides et mornes, ils offraient un spectacle curieux, mais nullement agréable. Une des luttes venait de finir lorsque nous prîmes place dans le cirque. Un officier s’avança sur l’estrade et annonça au public quels étaient les deux athlètes qui allaient paraître, puis il lut sur un papier une longue liste de noms propres et de chiffres ; c’était l’état des paris engagés entre les spectateurs au sujet du prochain combat,