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japonaises ne pouvaient longtemps s’y tromper. Les Japonais tenaient surtout à conserver dans le nouveau temple la tenue respectueuse qui convient à des gens bien élevés dans tout édifice consacré à un culte quel qu’il soit. Quant à l’image du Christ, elle n’était à leurs yeux que celle d’un grand homme de l’Occident devant laquelle il fallait se prosterner tout comme on le ferait, si ce seigneur allait apparaître en personne. La seule croyance solidement affermie au Japon est le respect dû à la hiérarchie, à l’autorité, à la grandeur humaine. Le fanatique dévouement des sujets à leur suzerain en est la plus éclatante preuve. Le sentiment religieux, tel que nous le comprenons, est inconnu aux Japonais, et leur facilité même à se rapprocher du christianisme, n’étant qu’un effet de leur indifférence en semblable matière, est assurément ce qui doit décourager le plus nos missionnaires. On tomberait dans une grave erreur si l’on s’avisait d’attribuer à l’influence des convictions religieuses les lois sévères qui proscrivent l’introduction du christianisme au Japon. Il n’y faut voir qu’un acte purement politique. Lorsque le gouverneur de Yokohama fit savoir à M. l’abbé Girard qu’il punirait de prison, de mort même, quiconque parmi les Japonais se risquerait à remettre les pieds dans son église, il n’était certes pas guidé par le respect du bouddhisme ou du sintisme, car c’était un siodosin ou libre penseur, ou par la haine du christianisme, qu’il ne connaissait point; il craignait seulement que les rapports fréquens des missionnaires et des indigènes n’amenassent entre eux une sorte de confraternité que le gouvernement du taïkoun s’efforce partout d’empêcher.

L’Olympe japonais contient un grand nombre de dieux et de demi-dieux; aussi les fêtes abondent-elles dans le calendrier[1]. Quelques-unes se passent sans éclat; mais lors des plus solennelles madzouris (c’est le nom qu’on leur donne), la population entière est en émoi : c’est une occasion dont elle profite avec empressement pour assister à de grands repas, à de brillans spectacles, pour se divertir enfin et se livrer à tout l’abandon de son humeur. J’eus la bonne fortune de me trouver à Nagasacki lorsqu’on célébra la fête du patron de la ville. C’est la madzouri par excellence, et elle m’offrit pendant trois jours de curieux sujets d’observation et d’amusement. Le gouverneur,

  1. Les principales fêtes se célèbrent dans le premier, le deuxième et le cinquième mois de l’année. Le jour de nouvel an est fêté comme chez nous. On se fait réciproquement des visites et des cadeaux, et l’usage de la carte de visite est à cette occasion plus répandu encore qu’en France. Le deuxième mois (Ni-gouats) est le mois où se célèbre la grande fête des femmes; le cinquième (Go-gouats) est consacré aux hommes. Les enfans mâles nés dans ce mois sont considérés comme prédestinés à une existence heureuse.