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compatriotes, ne put absolument rien comprendre à l’indignation des Européens et aux scrupules que je tâchai de lui expliquer, « Oui, me dit-il, quand je vois au bain une femme nue, je la vois tout entière. Quel mal y a-t-il à cela ? » Je ne pus tirer autre, chose de lui, et il me resta démontré que nous partions de points de vue trop différens pour arriver à la même conclusion[1].

L’intérieur des maisons japonaises est d’une grande simplicité. L’exacte propreté en fait le principal ornement. Les chambres sont basses de plafond et séparées entre elles par des châssis mobiles, dont le déplacement suffit pour changer à volonté la disposition de l’appartement. Chacune de ces chambres est garnie d’épaisses nattes en bambou ; mais on n’y voit aucun des meubles à demeure et d’un usage commun chez nous, comme chaises, tables, armoire ou lit. A-t-il besoin d’écrire, le Japonais tire d’un placard un petit guéridon, haut d’un pied, devant lequel il se met à genoux ; la lettre finie, il renferme le guéridon. A l’heure des repas, on dresse des tables carrées et de dimensions fort exiguës ; au moment du coucher, on étend sur les nattes d’épaisses couvertures en soie ou en coton et d’amples robes de chambre en étoffes plus ou moins précieuses. Après s’être dépouillés de leurs vêtemens de jour, les Japonais s’enveloppent de grandes robes de nuit qui les couvrent chaudement, appuient leur tête sur un oreiller de bois, dont le dessus est rembourré et qui a la forme et les dimensions d’un fer à repasser, et c’est ainsi qu’ils s’abandonnent au sommeil. Le matin, on serre ces objets dans une espèce de cabinet noir ; on ouvre toutes les portes afin de donner de l'air, on balaie les nattes avec soin, et la salle, complètement vide, sert dans la journée de bureau, de salon et de salle à manger, pour redevenir chambre à coucher la nuit venue. Cette manière de vivre explique fort naturellement l'excessive propreté des habitations japonaises.

Il n'y a que deux meubles qui soient d'un usage général parmi

  1. Je suis grand ami des Japonais, et puisqu’on leur a si souvent reproché d’être privés de toute pudeur, je me permettrai de faire encore quelques observations sur ce sujet délicat. Certains crimes qui se jugent trop fréquemment devant nos tribunaux semblent être inconnus au Japon. Les images obscènes y sont, il est vrai, très répandues ; mais quiconque a vu des photographies qui, expédiées de Londres, de Paris et d’autres centres de civilisation, ont circulé et circulent encore en assez grand nombre sur les marchés de l’extrême Orient ne peut hésiter à décerner la palme de la plus abjecte corruption aux compatriotes mêmes de ceux qui se sont tant effarouchés de l’impudeur japonaise. J’ai hâte d’ajouter qu’en constatant ce fait, je n’ai voulu jeter aucun blâme sur les communautés étrangères de la Chine et du Japon : elles sont en général composées d’hommes fort honorables ; mais il n’est pas étonnant qu’il s’introduise parmi eux quelques individus sans vergogne qui trouvent dans l’appât du gain un motif suffisant de se livrer au trafic le plus ignoble.