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en tuiles noires et blanches. Du reste, la construction en est des plus simples et des plus légères : la plupart n’ont de murailles en pisé que sur les côtés ; la façade et le derrière se composent de châssis en bois mince tendus de papier. Le papier japonais est cotonneux et fort ; cependant il ne résiste pas longtemps aux influences d’un climat humide, et doit être renouvelé une ou deux fois par an. Cette singularité contribue beaucoup à donner aux habitations cet aspect réjouissant de propreté et de bonne tenue qui les distingue des maisons chinoises[1]. Le rez-de-chaussée est ordinairement ouvert jusqu’au moment où les habitans vont se coucher et où on le ferme avec de fortes et larges planches en bois dur. En été, on peut voir d’un coup d’œil tout ce qui se passe à l’intérieur, et même en hiver il n’est pas difficile, avec un peu de curiosité, de se rendre exactement compte du genre de vie des habitans. Le Japonais vit au grand jour ; il a réalisé le rêve de ce Romain qui aurait voulu vivre dans une maison de verre ; beaucoup de voyageurs prétendent même qu’en cela il a poussé trop loin la licence. Ne s’est-on pas, il me semble, un peu pressé de le blâmer ? Il y a une grande différence entre la dépravation et le manque de pudeur. L’enfant ne connaît pas la honte, mais il n’est pas éhonté. La pudeur, Rousseau l’a dit avec raison, est « une institution sociale ; » elle se développe avec la civilisation ; chaque climat, chaque époque exerce sur les manifestations de ce sentiment une influence que voyageurs et historiens ont été à même de constater. Non-seulement la pudeur française est autre que la pudeur musulmane, mais notre pudeur d’à présent diffère en beaucoup de points de la pudeur de nos ancêtres. Chaque race s’est fait dans son éducation morale et dans ses habitudes un critérium de ce qui lui paraît décent ou non. En bonne conscience, on ne devrait pas taxer d’impudeur l’individu qui, dans sa patrie, ne blesse aucune des convenances sociales au milieu desquelles il a été élevé. Le Japonais le plus délicat et le plus rigide ne s’offusque pas de voir une jeune fille prendre un bain au seuil de sa porte devant les passans, et les gens de tout âge et de tout sexe qui se réunissent dans les salles communes pour y faire leurs ablutions n’ont jamais cru commettre une action honteuse. Un Japonais fort bien élevé, avec qui je m’entretenais des singulières habitudes de ses

  1. Ce qui explique aussi pourquoi la plupart des villes japonaises ont cet air de propreté que tous les voyageurs ont constaté, c’est la fréquence des incendies. Les maisons sont construites de matériaux tellement combustibles, qu’il suffit d’un léger accident pour réduire tout un quartier en cendres. Pendant un assez long séjour que je fis à Yédo, il se passait à peine une nuit sans que j’entendisse sonner le tocsin. Je ne crois pas exagérer en affirmant que l’âge moyen des maisons japonaises ne dépasse pas quinze ans. Des maisons plus vieilles ne se rencontrent guère qu’à la campagne. Dans les grandes villes, on traverse constamment des quartiers nouvellement rebâtis.