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plus pittoresques. De puissantes forêts les couronnent au sommet, et, leurs flancs se couvrent à perte de vue de champs cultivés et de prairies qui servent de cadre aux paisibles demeures des familles de laboureurs ; plus bas, dans le voisinage immédiat de la ville, qui occupe la base des collines jusqu’à une hauteur de deux cents pieds, on aperçoit des temples entourés de vastes jardins où se promènent les vivans et où reposent les morts. D’ordinaire de magnifiques escaliers de pierre donnent accès à ces temples. Les cimetières sont religieusement entretenus. Sur les tombeaux de ceux qui sont morts dans l’année, on répand des fleurs fraîches ; on y dépose aussi de petites coupes contenant de l’eau, du sel et du riz ; dans certaines occasions, on les illumine avec des lanternes blanches en signe de deuil et on y brûle de l’encens.

Au nord de Nagasacki s’ouvre une large vallée arrosée par un ruisseau qui se déverse dans la baie et habitée par une tranquille et nombreuse population d’agriculteurs. Bien souvent je me suis livré seul à de longues excursions à travers cette partie de la campagne, et jamais je n’oublierai le bienveillant accueil des paysans aussitôt que l’envie me prenait de les aborder. Si je m’arrêtais au seuil d’une ferme pour demander du feu, à l’instant filles et garçons s’empressaient de m’apporter le brasero. A peine étais-je entré, que le père m’invitait à m’asseoir, et que la mère, en me saluant d’un air modeste, me servait du thé. La famille entière se réunissait autour de moi, et m’examinait avec une curiosité enfantine dont je n’avais garde de m’offusquer. Les plus hardis touchaient à l’étoffe de mes habits, une petite fille se hasardait à me prendre les cheveux, et s’enfuyait rieuse et confuse à la fois. Avec quelques boutons de métal, je rendais les enfans parfaitement heureux. « Grand merci, » répétaient-ils tous ensemble, et, se mettant à genoux, ils inclinaient leurs jolies têtes et me souriaient avec une grâce que j’étais tout surpris de rencontrer dans cette classe infime de la société. Lorsque je m’éloignais, on m’accompagnait jusqu’au bord de la route, et j’étais presque hors de vue que j’entendais encore le bruit de ces voix amies qui me criaient : « Seianara maté mionitchi (au revoir jusqu’à demain) ! » Je parle de l’année 1859 et de l’année 1861 ; je n’ose affirmer que le même accueil empressé soit encore réservé aux étrangers qui se promènent dans les campagnes japonaises. Depuis ce temps, nos relations avec les indigènes ont passé par de pénibles épreuves, et aujourd’hui nous nous tenons vis-à-vis d’eux dans une attitude menaçante, sinon ouvertement hostile. Au moment même où j’écris, une ville florissante et inoffensive, Yédo, est menacée par les forces anglaises, parce que le taïkoun s’est trouvé dans l’impuissance d’accorder la réparation que le gouvernement de la Grande-Bretagne