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est, s’étend dans la direction du nord-est au sud-ouest sur une longueur de quarante milles ; sa plus grande largeur est d’à peu près dix-sept milles. Elle est bien cultivée et produit du riz, du blé, des pommes de terre douces, du maïs et quelques légumes. Elle est habitée par une population mixte de Coréens, de Chinois et de Japonais, sales, ignorans et pauvres. Au milieu de l’île s’élève le mont Auckland, dont la hauteur est de six à sept milles pieds au-dessus du niveau de la mer. Un jour peut-être ce petit territoire pourra mériter l’attention des navigateurs comme point de relâche, sinon comme champ d’exploitation.

Nous nous trouvions à une vingtaine de milles de la côte du Japon lorsque le vent, qui depuis deux ou trois jours soufflait avec violence, tomba tout à coup, et le navire demeura immobile. L’accalmie se prolongea toute la nuit et pendant la plus grande partie du jour suivant. Perdant patience, je résolus alors d’aviser au moyen de gagner au plus vite la terre ferme. Le navire était environné de bateaux de pêche ; plusieurs même s’étaient rapprochés pour nous vendre du poisson. Grâce à quelques mots japonais que j’avais appris pendant mon premier séjour à Nagasacki, je fus bien vite d’accord avec le patron d’une de ces barques. Il offrit de me conduire à Nagasacki en quatre heures pour la modique somme d’un ilzibou (2 fr. 50 cent.). J’acceptai volontiers ces conditions, et muni de quelques cigares, d’un livre et de mon revolver, je quittai le Tilton, le navire qui m’avait conduit jusque-là, en donnant rendez-vous au capitaine à Nagasacki, où je comptais arriver avant le coucher du soleil et où je devais annoncer son arrivée pour le lendemain.

Le bateau sur lequel je venais de m’embarquer était monté par six pêcheurs. C’étaient des hommes de taille moyenne, à la peau rougeâtre, aux membres souples, musculeux, bien proportionnés. A l’exception de l’étroite écharpe qui ceignait leurs reins, ils étaient complètement nus. Je pris possession de l’arrière du bateau, où l’on avait dressé une tente ; je m’allongeai assez commodément sur une natte très propre, et nous partîmes. Les matelots japonais, sans être en général aussi robustes que les matelots européens, supportent la fatigue pendant un temps considérable. Debout, pesant de tout le corps sur leurs longues et lourdes rames, dont le maniement exige des membres vigoureux et exercés, ils travaillent sous un ardent soleil durant des heures entières, sans relâche, et en apparence sans lassitude. Souvent ils accompagnent leur travail d’om chant monotone, au rhythme bien cadencé ; plus souvent encore, semblables aux portefaix chinois, ils poussent, à de. courts intervalles, des cris aigus qu’ils soutiennent pendant quelques secondes, et qui ont pour principal effet de dégager les poumons.