gauche des échoppes en plein vent, sur le pas des portes des artisans qu’à leur costume et à leur air en prendrait pour des pâtres, ici un char agreste à deux roues traîné par des buffles, plus loin des bœufs aux longues cornes recourbées qui, accroupis sur le pavé, ruminent en sommeillant, là des pigeons qui se poursuivent, dans un coin une mare et un fumier où picorent des poules, tandis que, du haut d’un perchoir, le coq s’égosille en battant des ailes, et de l’autre côté de la rue, assis sur un tronçon de colonne fruste, je ne sais quel faune de la Sabine qui, le teint hâlé, le poil hérissé, le visage à moitié caché par son épaisse chevelure noire, souffle à perte d’haleine dans son aigre flageolet… Songez-y, madame, à l’ombre, et presque aux portes de Saint-Pierre, ces masures, ces bœufs, cette mare, ce flageolet, voilà Rome !
— Je le veux bien, dit-elle ; mais avançons, baron, avançons ! Nous n’arriverons jamais à Saint-Onuphre.
— Deux pas encore, et nous y sommes. Nous avons laissé derrière nous la porte Saint-Esprit. Sur notre droite, nous apercevons une rue montante, raboteuse, herbue au-delà de ce qu’on peut croire, et tout au haut de cette rue un clocheton avec sa girouette surmontée d’une croix, et les arcades d’un petit portique avec une aile en retour. Je gravis cette rampe, non sans souffler ; à mon âge, on n’est plus ingambe. De tous côtés autour de moi s’ébattaient des bambins, les uns rebondis comme de petits Bacchus, les autres minés par la fièvre. Sur le devant des maisons, de grandes belles filles, aux nattes noires retenues par un peigne argenté, ravaudaient du linge ou épluchaient des légumes ; de vieilles commères jouaient aux cartes. Plus haut, sur une petite terrasse qui précède le couvent et son église et commande une vue magnifique, des fillettes vêtues de blanc dansaient joyeusement au son des castagnettes et du tambourin. O gaîté folâtre des pays du soleil ! Sous des cieux plus démens que le nôtre, se sentir vivre suffit au bonheur. Après m’être arrêté un moment sous le portique à considérer des fresques du Dominiquin, j’entrai dans l’église. Dans la première chapelle, à gauche, on voit un monument récemment élevé à la mémoire du Tasse. De ce monument je ne dirai rien, sinon qu’il est tout neuf et que le marbre m’en parut beau. Je m’approchai du maître-autel, et je contemplais les beaux anges sur fond d’or dont le Pinturicchio a décoré la tribune, quand un moine survint. C’était un des religieux hiéronymites qui desservent l’église de Saint-Onuphre et qu’on appelait autrefois les ermites de Saint-Pierre de Pise. Il tourna quelques instans autour de moi en m’observant du coin de l’œil. Frère Antonio, c’est le nom de mon moine, est un grand homme maigre qui n’a pas l’air bon. — Mon père, lui dis-je en l’abordant, je suis