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demander s’ils n’ont pas affaire à des phénomènes d’un autre ordre. Non-seulement ces ouragans perdent en intensité ce qu’ils gagnent en étendue, mais encore des lacunes sans cesse agrandies s’ouvrent dans leurs spirales. Ainsi que le prouvent plus de trois cent mille observations faites dans l’Atlantique septentrional à bord de navires américains, anglais, hollandais, les vents de la région du nord manquent presque toujours dans les hélices des cyclones qui ont dépassé le trentième degré de latitude boréale. A mesure que le météore se développe vers le pôle, la zone tranquille de l’ouragan s’accroît. Les vents d’est et de sud diminuent graduellement en intensité, puis disparaissent complètement. Enfin, du 50e au 60e degré de latitude, la rotation aérienne du cyclone n’est plus représentée que par les vents du nord-ouest, de l’ouest et du sud-ouest : il ne reste plus qu’une moitié de l’ouragan. Au sud de l’équateur, des phénomènes semblables s’accomplissent en ordre inverse, et chaque courbe successive de la spirale des orages offre dans sa convexité méridionale une lacune grandissant proportionnellement avec la hauteur des latitudes.

Tous ces faits ne sont anormaux qu’en apparence. En effet, l’ouragan, pris dans son ensemble, peut être considéré comme un disque tournant rapidement autour de son axe. Sa tendance naturelle est de se mouvoir incessamment dans le même plan de rotation, et ce n’est que par l’intervention d’une force considérable qu’il peut être incliné dans un sens ou dans l’autre. A son point d’origine sur les mers équatoriales, le cyclone est sensiblement parallèle à la surface des eaux; mais à mesure qu’il se déplace vers le pôle, il se trouve de plus en plus oblique au plan de la surface terrestre. Tandis qu’une de ses parties rase encore les flots ou les campagnes, l’autre partie s’élève peu à peu à une grande hauteur dans l’atmosphère. Bientôt les vents supérieurs du tourbillon aérien ne se font plus sentir au niveau du sol, et sont indiqués seulement par l’abaissement de la colonne barométrique et par les traînées de nuages qu’on voit fuir dans les hauteurs du ciel. Vers le 50e degré de latitude, au nord et au sud de l’équateur, les cyclones, à demi redressés, n’effleurent plus la terre que par les vents inférieurs de leur pourtour. Ces vents sont les mêmes dans les deux hémisphères : ils soufflent également du nord-ouest, de l’ouest et du sud-ouest; mais de chaque côté de la ligne équatoriale la giration s’accomplit en sens inverse. Les règles de conduite que MM. Piddington et Redfield ont tracées aux marins surpris par la tempête ne sont donc plus applicables dans les régions tempérées, puisqu’en ces parages le tourbillon des vents laisse toujours une issue. Averti par le baromètre de la présence du cyclone, le capitaine n’a qu’à tourner immédiatement le cap de son navire dans la direction du pôle sans craindre de se voir enfermé au milieu d’un cercle de tempêtes. C’est derrière lui que la partie inférieure de l’immense roue vient labourer les flots; devant lui, l’Océan est libre, ou du moins les vents qui en labourent la surface sont produits par des causes locales et n’appartiennent pas au terrible météore. A de bien rares intervalles seulement, la