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a exécuté deux fragmens d’un concerto de Rode qui ont produit un effet charmant. Le talent vrai de M. Lamouroux a été encore plus remarquable dans le quintette pour instrumens à cordes de Mozart. Le larghetto et le finale de ce chef-d’œuvre sont des pages admirables de grâce et de sentiment.

Parmi les virtuoses célèbres qui sont venus se faire entendre à Paris cet hiver, il faut citer d’abord Mme Clara Schumann, la femme du célèbre compositeur dont nous avons déjà parlé l’année dernière. Elle a donné plusieurs séances dans les salons de la maison Érard, où elle a joué avec une vigueur singulière plusieurs morceaux de Beethoven et d’autres grands maîtres. Mme Schumann joue du piano comme un homme ; elle manque essentiellement de grâce, et sa contenance, quand elle est devant le public, est celle d’une bonne Allemande qui ne s’en fait pas accroire et qui est tout entière au sujet qui l’occupe. C’est une artiste consommée et sérieuse, dont l’exécution laisse désirer plus de souplesse et de variété. Je préfère de beaucoup à Mme Schumann le talent naïf, poétique et tout féminin de Mme Szarvady, dont le nom est connu depuis longtemps des amateurs. Elle a donné, avec le concours de Mme Schumann, deux soirées dans les salons de Pleyel, deux soirées qui ont été très brillantes. Le programme de la seconde soirée, qui était fort bien rempli, contenait d’abord le trio pour piano, violon et violoncelle de Beethoven, dont le scherzo a été exécuté par le virtuose avec une précision et une souplesse admirables. Après un air de Mozart misérablement chanté par une pauvre fille tudesque, Mmes Schumann et Szarvady sont venues exécuter une série de morceaux à quatre mains de la composition de Schumann. Ces morceaux curieux sont des espèces de petits sujets poétiques, des scènes fantastiques, que le musicien a choisis lui-même ou qu’il a empruntés à quelques poésies connues, et sur lesquels il a exercé sa fantaisie. Voici les titres de quelques-unes de ces compositions légères : En tressant des Guirlandes, Cache-Cache, Chant du Soir, A la Fontaine. J’avoue sincèrement que j’ai eu de la peine à saisir le sens de ces savantes divagations, où le motif, quand il y en a un d’accusé, est enseveli sous un luxe de traits, de petites notes et d’harmonies souvent atroces, et que je me suis demandé, après avoir écouté ces drôleries à la Jean-Paul : Qu’a voulu dire le musicien ? Qu’est-ce qu’un caprice musical qui ne repose pas sur un rhythme fortement accusé, sur une idée facilement saisissable ? Sur quel fond se dessinent ces arabesques, qui excitent la curiosité de l’oreille sans que je puisse me rendre compte du point de départ, du thème que le compositeur a voulu enrichir de ses caprices ? La fatigue que j’ai éprouvée à entendre ces petits contes drolatiques, qui ont été interprétés cependant avec une bravoure et une précision rares, n’a pas été compensée par quelques traits piquans que renferment ces compositions étranges de Schumann ; peut-être seraient-elles mieux appréciées par un public allemand, qui a le mot de l’énigme. Mme Szarvady a exécuté ensuite, avec autant de grâce que de poésie, une valse, une étude de Chopin et un scherzo