Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/994

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raison les maires et les préfets, étaient un moyen perfide et sûr d’endormir l’esprit et l’âme du peuple et de le détourner, par des chansons, des idées de patriotisme et de liberté ! Ce grand politique ne se doutait pas qu’il raisonnait un peu comme Platon, comme Rousseau, comme tant d’autres sublimes rêveurs qui ont fait l’homme à leur image, en méconnaissant la force expansive de ses instincts généreux, en niant la perfectibilité infinie de sa nature. À ces scrupules de la philosophie, à ces vaines déclamations des utopistes et des démocrates modernes, l’histoire répond par des faits éclatans et universels. La musique a été partout un moyen puissant de civilisation. Tous les peuples du monde ont admis le chant, la danse et les instrumens dans les cérémonies religieuses, dans les fêtes nationales, dans les théâtres et dans l’intérieur des familles. La puissance bienfaisante de la musique est proclamée par tous les poètes, par la Bible, par Homère, par les livres sacrés de l’Inde, de l’Égypte et de la Perse. Les pères de l’église ; comme saint Augustin, saint Ambroise et saint Grégoire, les grands théologiens tels que saint Bernard et saint Thomas d’Aquin, les réformateurs Savonarole, Luther, les poètes, les philosophes, les artistes les plus illustres du moyen âge et de la renaissance ont aimé et reconnu le charme de la musique, dont Montesquieu a dit : « C’est le seul de tous les arts qui ne corrompe pas l’esprit. » Mais ce qui est plus vrai et moins contestable que le mot de Montesquieu, c’est le rôle important que joue la musique dans les grandes luttes civiles et nationales. Ai-je besoin de rappeler l’influence énergique et salutaire qu’ont eue la Marseillaise, le Chant du Départ, les chœurs et les scènes patriotiques sur les hommes de la révolution, sur ces armées improvisées qui allaient défendre le pays contre l’Europe ameutée ? Le christianisme a fait de la musique un art nouveau, il a presque créé l’orgue, ce magnifique résumé des harmonies du monde, et les réformateurs du XVIe siècle, Luther, Calvin, Zwingle, ont tous considéré le chant et la musique comme l’expression la plus parfaite du sentiment religieux. Il est donc suffisamment prouvé que la musique n’est point un art corrupteur, et que, loin de s’effrayer de voir les populations s’éprendre d’un goût de plus en plus vif pour un si noble plaisir, il faut considérer ce fait nouveau comme le signe d’une véritable émancipation morale.

Paris a été visité cette année par quelques virtuoses d’un mérite bien connu, Mm" Schumann et Pleyel, MM. Vieuxtemps, Becker, Sivori et Thalberg. Rendons d’abord hommage à la Société des concerts, cette noble et déjà vieille institution qui a éveillé et développé le goût de la haute société parisienne pour les grandes conceptions de la musique instrumentale. Le 5 avril, on a exécuté au Conservatoire la Symphonie pastorale de Beethoven, dont nous nous garderons de faire l’éloge. Un Credo en chœur de Cherubini, morceau remarquable par la pureté et l’élégance du style, a rempli le troisième numéro du programme, après quoi M. Vieuxtemps est venu exécuter une ballade polonaise de sa composition. Violoniste d’un talent sévère,