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séparés de cette époque par onze années, et que ce sont même pour la France de bien vieilles modes. Les circonstances qui ont rendu possibles en 1852 sur le continent le succès de la réaction et la politique dictatoriale se sont profondément modifiées, même en France ; mais le gouvernement de Berlin et le peuple prussien sont-ils dans une situation semblable à celle où se trouvait la France en 1852 ? La Prusse a-t-elle eu une révolution de 1848, la ruine d’une dynastie et le renversement d’une république ? C’est pitié, dans un pays où une dynastie populaire se trouve en face d’un peuple loyal, de voir un gouvernement recourir, par entêtement puéril et par incapacité, à l’instrument néfaste de l’arbitraire, et imposer à la presse, aux manifestations de l’opinion, l’odieux régime des lettres de cachet. On ne saurait trop louer d’ailleurs la fermeté avec laquelle la presse prussienne proteste contre les boutades despotiques du cabinet Bismark, la résistance légale que les corps municipaux essaient d’opposer à l’arbitraire ministériel, et les paroles de blâme prononcées par le prince de Prusse contre cette politique à la fois aventureuse et rétrograde. On ne saurait trop déplorer qu’un pays comme la Prusse voie sa situation politique faussée en même temps au dedans et au dehors, et que le moment où la couronne est gratuitement compromise par les ministres envers les chambres et la nation soit précisément celui où la Prusse, comme puissance, est compromise vis-à-vis de l’Europe par une politique étroite et obscure. La France et l’Angleterre ne peuvent s’empêcher d’éprouver un sentiment de défiance devant la politique intérieure du gouvernement prussien, car à leurs yeux cette politique ne saurait être que l’effet même des engagemens dangereux que la Prusse a pris envers la Russie. L’instructive conversation qui vient d’avoir lieu à la chambre des lords entre lord Carnarvon et le comte Russell montre bien le dangereux embarras de la politique extérieure de la Prusse. N’est-il pas étrange que les gouvernemens occidentaux n’aient pu être encore édifiés sur la nature de la convention conclue entre la Prusse et la Russie, et qu’à Berlin et à Pétersbourg les représentans de l’Angleterre n’aient rencontré à ce sujet que faux-fuyans et contradictions de langage ? L’attitude prise par la cour de Berlin à l’égard de la question polonaise a déjà produit ce triste résultat pour la Prusse, que son gouvernement est accusé et convaincu d’une dissimulation qui n’est plus admise à notre époque dans les rapports de la diplomatie.

La question polonaise marche lentement dans sa phase diplomatique ; mais elle marche, puisque les propositions sur lesquelles la France, l’Angleterre et l’Autriche avaient à s’entendre viennent de recevoir le dernier examen de la cour de Vienne, et seront probablement en état d’être présentées prochainement à Pétersbourg. En attendant que ces propositions soient portées à la connaissance de l’opinion européenne, il serait important que le public fût bien pénétré des traits caractéristiques de la situation sans précédens qui fait la difficulté de la question polonaise. La Po-