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des caprices ou des préférences de son patronage, un ami peut lui faire un reproche d’avoir été abandonné par lui in extremis ; mais c’est à la vérification des pouvoirs qu’éclateront les abus et les dangers de l’intervention administrative dans les élections. Des protestations nombreuses, qui ne manqueront pas d’arriver en temps opportun à la publicité, montreront par le détail les effets de cette intervention systématique. La réunion de ces protestations et des pièces justificatives dont elles seront accompagnées formera comme une vaste enquête sur la façon dont le suffrage universel fonctionne dans nos campagnes. Ce sera le premier débat du corps législatif, et ce débat ne peut manquer d’être un procès intenté par l’opposition devant l’opinion publique au système de l’intervention administrative. Personne ne peut méconnaître que l’opposition entamera cette lutte avec de puissans avantages ; elle s’y assoira en plein sur le terrain constitutionnel. Le suffrage universel est l’âme de la constitution de 1852. Or la cause magnifique que l’opposition devra défendre, et les orateurs cette fois n’y seront d’aucune façon insuffisans, est la cause de la liberté, de la pureté et de la sincérité du suffrage universel.

Nous aurons le temps, d’ici à la prochaine session, d’étudier et d’exposer plusieurs autres conséquences du travail d’opinion d’où les élections sont sorties et qu’elles ont révélé. Notre espoir est qu’avant cette époque l’empereur, qui n’a jamais caché qu’il se fait un point d’honneur d’étudier les mouvemens de l’opinion, d’en reconnaître et même d’en devancer les vœux, saura disposer la politique de son gouvernement suivant les tendances d’une situation qui est visiblement en train de se renouveler. Une circonstance qui devrait, suivant nous, hâter les modifications libérales que réclame la politique intérieure de la France, c’est l’espèce de coup d’état que le ministère prussien veut accomplir. Comme s’il était nécessaire que l’opinion eût besoin d’apprendre par une démonstration nouvelle que la liberté de la presse résume et garantit toutes les libertés, c’est en attaquant la presse que M. de Bismark a commencé son œuvre imprudente de réaction. Le plagiat que M. de Bismark vient de commettre en nous empruntant notre législation de 1852 sur la presse ressemble à une impertinence à l’adresse de la France. Le ministre prussien a doté son pays du régime français des avertissemens et de la suspension des journaux. Nous sommes enchantés que nos journaux officieux, qui n’ont pas l’air de savoir ce qu’ils ont dans leurs propres yeux, aperçoivent et dénoncent cette poutre énorme dans les yeux des Prussiens. Peut-être le spectacle d’une dictature ridicule piquera-t-il notre amour-propre et nous guérira-t-il de nos vieux préjugés dictatoriaux. Espérant que M. de Bismark nous rendra ce service, nous ne voudrions pas être trop sévères envers lui. Cet homme d’état, ses adversaires l’admettent, a beaucoup d’audace et de mouvement dans l’esprit. Son tort est d’avoir l’esprit rétrograde. Il est réactionnaire à contre-temps. Il copie nos modes de 1852, oubliant que nous sommes