Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obligé de céder et d’accomplir un acte qui l’abaissait aux yeux de l’aristocratie et du peuple ; sa haine contre les hommes de l’Occident grandit de toute l’humiliation qu’il venait de subir. Tel était l’allié que Vakisakou appelait auprès de lui pour l’opposer, en qualité de gouverneur des affaires étrangères, à Ando, le ministre du même département.

Les représentai de l’Europe ne traitent directement avec les membres du conseil des cinq que lorsqu’il s’agit d’affaires importantes ; pour les transactions ordinaires, ils se mettent en relations avec les gouverneurs des affaires étrangères, qui ont rang de sous-secrétaires d’état et qui peuvent être considérés comme les envoyés plénipotentiaires du conseil. Hori voyait donc très fréquemment les fonctionnaires étrangers, et à Yédo, comme à Yokohama, il se conduisit avec eux de façon à empêcher tout rapprochement intime et sérieux. MM. Alcock et du Chesne de Bellecourt, de leur côté, observèrent envers lui, comme il convenait à leur position, la froide politesse dont Hori ne s’écartait pas ; mais, parmi les fonctionnaires plus jeunes, il s’en trouva un qui ne fit aucun cas de la réserve que Hori mettait dans ses rapports avec les étrangers, et qui l’accueillit invariablement avec une familiarité blessante pour la raideur du personnage japonais, bien que cette familiarité ne fût jamais poussée jusqu’à l’oubli des convenances. Ce fonctionnaire était Henri-Jean Heusken, secrétaire de la légation américaine à Yédo[1]. Dès sa première conférence avec Hori, sa constante bonne humeur déplut au gouverneur des affaires étrangères, qui, comprenant l’impossibilité de pousser à l’irritation ou à l’impatience un homme aussi maître de lui-même, évita autant qu’il le put de se retrouver en sa présence.

Vers la fin de l’année 1860, Heusken reçut une lettre de Hori, ou plutôt un avis impérieux, qui lui enjoignait de cesser ses promenades nocturnes dans Yédo. Les rues de la Capitale, prétendait Hori, n’étaient pas parfaitement sûres, et puisqu’on rendait le gouvernement japonais responsable de la sécurité des étrangers, c’était à eux de se soumettre aux mesures de précaution que le gouvernement croyait nécessaires. Cette demande était juste, mais le ton en était si acerbe que Heusken fut entraîné à y faire une vive réponse, disant qu’il sortirait quand bon lui semblerait, et qu’il saurait se défendre seul contre quiconque oserait s’en prendre à lui. Avant d’expédier sa lettre, il la communiqua à son ami M. Polsbroeck, consul de Hollande à Yokohama, qui, la jugeant trop violente, lui conseilla de la supprimer[2]. Malheureusement ce sage

  1. La mort tragique de M. Heusken a été racontée dans la Revue du 1er décembre 1861.
  2. M. Polsbroeck, le plus ancien résident étranger au Japon, et qui, dans ses relations si difficiles avec le gouvernement de ce pays, a toujours fait preuve d’un tact parfait ; me répéta à plusieurs reprises qu’après avoir lu la lettre de Heusken il lui dit ces propres paroles : « Hori deviendra votre ennemi mortel, si vous lui envoyez une telle lettre. Écrivez-lui tout ce que vous voudrez, mais faites-le d’une manière conforme au code de la politesse japonaise. »