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défaut choquant ; ses Vues de Turquie et d’Asie-Mineure ne sont que d’agréables indications. Que dirait-on d’un écrivain qui, sous prétexte de faire un livre d’histoire, n’en publierait que les sommaires ? Ces peintres rudimentaires ressemblent à un ténor qui réciterait sa romance au lieu de la chanter. Ces façons de faire sont bonnes pour des élèves, pour ceux qui s’essaient dans l’art difficile de peindre, et qui, par leurs tentatives malheureuses ou incomplètes, méritent souvent de voir ajourner l’exposition de leurs œuvres.

Une mesure exceptionnelle a fait ouvrir, cette année, des salles spéciales pour les refusés. Cette exhibition à la fois triste et grotesque est une des plus curieuses qu’on puisse voir. Elle prouve surabondamment, ce que du reste on savait déjà, que le jury se montre toujours d’une inconcevable indulgence. Sauf une ou deux exceptions très discutables, il n’y a point là un tableau qui méritât l’honneur des salles privilégiées ; en revanche, on peut affirmer, sans crainte de se tromper, que beaucoup de toiles acceptées par le jury auraient dû ne trouver place que dans le salon des refusés. Ces œuvres baroques, prétentieuses, d’une sagesse inquiétante, d’une nullité absolue, sont très troublantes à étudier, car elles prouvent de quelles singulières aberrations peut se nourrir l’esprit humain. La plupart d’entre elles donneraient raison aux théories du docteur Trélat sur la folie lucide. On pouvait s’attendre à des outrecuidances d’originalité, et l’on reste surpris de ne voir que des copies informes faites d’après les peintres à la mode, qui eux-mêmes, le plus souvent, s’inspirent des anciens maîtres. Il est curieux de voir où en arrive un maître célèbre, Corrège par exemple, quand il passe par les interprétations d’un peintre de talent pour en venir à celles des barbouilleurs dont les œuvres aujourd’hui sont exposées par ordre. Il y a même quelque chose de cruel dans cette exhibition ; on y rit comme aux farces du théâtre du Palais-Royal. En effet, c’est une parodie constante, parodie de dessin, parodie de couleur, parodie de composition. Voilà donc les génies méconnus et ce qu’ils produisent ! voilà les impatiens, voilà ceux qui se plaignent, ceux qui crient à l’injustice des hommes, à la dureté du sort, qui en appellent à la postérité ! Jamais consécration plus éclatante n’avait été donnée aux travaux du jury, et l’on peut le remercier d’avoir essayé de nous épargner la vue de telles et si lamentables choses.

Du reste, même défauts généraux que dans l’exposition voisine ; point d’imagination, point de composition, négligence du dessin, quelque recherche de coloris, tendances ultra-matérialistes indiquées par une ou deux obscénités qu’on ferait bien de retourner, car l’insuffisance de l’exécution les rend tout à fait choquantes ; tous ces défauts, augmentés, centuplés par l’absence radicale de