Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

violences du prince de Mito, resta le parti populaire, et conserva une influence assez grande pour faire rentrer au conseil le ministre réactionnaire Vakisakou, un allié intime, comme on le sait, du prince de Mito. Vakisakou justifia la confiance de ses amis en supposant à toutes les mesures présentées par son collègue Ando. Afin de fortifier sa situation, il appela auprès de lui un homme d’une rare intelligence, d’une admirable habileté et d’un patriotisme à toute épreuve : c’était l’un des signataires du traité conclu avec le gouvernement britannique, Hori-Oribeno-Kami. Descendant d’une des plus anciennes familles du Japon, attaché aux idées et à la fortune de Mito et de Vakisakou, Hori avait dans plusieurs occasions servi leurs desseins ; s’il était entré au comité des négociations, chargé spécialement de préparer les traités avec les puissances étrangères, il n’avait eu d’autre but que de se faire l’instrument de la politique hostile aux Européens, et, grâce surtout à son adresse, les traités conclus renfermaient certaines clauses restrictives qui devaient plus tard causer des embarras sans fin aux représentans des puissances occidentales.

Depuis l’ouverture du port de Yokohama, Hori avait rempli dans cette ville les fonctions de gouverneur, et s’était trouvé en relations constantes avec les ministres et les consuls étrangers. Voyant toujours en eux des adversaires et non des amis, il s’était étudié à lasser leur patience par son calme et par sa froideur dédaigneuse, qui s’alliaient du reste à une exquise politesse. On pouvait le voir passer chaque jour dans les rues de Yokohama, lorsqu’il se rendait à la salle du conseil, monté sur un cheval magnifiquement harnaché ou étendu dans sa grande litière. C’était un homme âgé de quarante ans environ, d’une taille ramassée, mais bien proportionnée ; il avait le teint bilieux ; ses yeux noirs et perçans brillaient d’un éclat extraordinaire. Il était impossible de le voir sans reconnaître en lui tous les signes d’un caractère inflexible. Il affectait un soin extrême de sa personne, et se faisait remarquer par l’élégante simplicité de son costume et le choix de ses armes[1].

  1. Les Japonais attachent un grand prix à leurs armes. Un noble ruiné vendra tout ce qu’il possède avant de se priver de ses deux sabres, héritage glorieux qui lui vient de ses pères et signe distinctif de sa naissance. Dans beaucoup de maisons, on trouve de vieilles armes qui pendant plusieurs générations ont passé de père en fils, et pour lesquelles chaque membre de la famille professe un culte presque religieux. On montre ces armes enveloppées d’étoffes précieuses, on en raconte avec orgueil la sanglante histoire, et un ami de la famille considère la permission de les toucher comme une marque de haute confiance. En recevant l’arme des mains de son propriétaire, il se mettra à genoux, s’inclinera profondément, et la portera respectueusement à son front avant de l’examiner. C’est une grave insulte que de dire à un noble que ses armes sont mauvaises, et toucher celles qu’il porte d’une manière irrévérencieuse est un outrage qui ne peut être lavé que dans le sang de celui qui l’a commis.