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il s’adresse à l’esprit, non aux sens; sa peinture est franche, sans sous-entendu. S’appliquant et modifiant un vers célèbre, il pourrait dire aussi : « Mon pinceau est honnête homme ! » Ce n’est point un mince mérite que d’être digne d’un tel éloge dans un moment où les artistes semblent s’être donné le mot pour arriver aux dernières limites des provocations malsaines. Le grand tableau de M. Matout, la Rencontre de saint Joachim et de sainte Anne, est conçu et exécuté en pleine lumière ambiante, à l’abri des ressources faciles du clair-obscur et des jours frisans. La lumière vient à flots, ainsi que dans la nature, et, comme elle est égale partout, elle n’est point criarde : elle enveloppe d’une atmosphère harmonieuse les personnages, les baigne de ses ondes limpides, adoucit leurs contours, et détache leur modelé puissant et ferme, qui n’a eu besoin d’aucuns luisans pour être vigoureux. Le sujet est fort simple : devant un monument de belle disposition architecturale et entouré d’une sorte de cloître qui rappelle les portiques des pays orientaux, Joachim, ceint par anticipation du nimbe bienheureux, rencontre celle qu’on avait surnommée Channah, la gracieuse, dont nous avons fait Anne. Le père de la Vierge est un homme solide et froid, d’une sévérité forte, et résigné d’avance aux chances douloureuses de la vie. Sainte Anne, par l’extrême douceur de son regard, par la sensualité trop accusée de ses lèvres, par toute son attitude, humble à force de soumission, indique la faiblesse et la confiance de la femme qui remet son sort tout entier aux soins de son époux. Dans cette toile, froide d’aspect, d’une grande dignité de composition, d’une réserve toute religieuse, il y a une intention extrêmement honnête et le dédain évident des succès faciles. On sent que l’artiste qui a peint ces deux personnages a un idéal très élevé qu’il poursuit malgré tout, et qu’il atteindra, car il sait qu’il existe, puisqu’il l’a entrevu. Tout simple, tout élémentaire que soit le sujet, il y a là un essai de grande peinture, et nous avons dû en parler, car c’est le seul que nous ayons rencontré en parcourant les diverses salles de l’exposition. Les artistes qui étaient appelés par leurs études et par leurs antécédens à en faire ont déserté leur voie première, et, sans bien se rendre compte du chemin qu’ils ont parcouru, ils en arrivent à ne plus faire que de la décoration, j’entends de celle qui convient aux salles de concert, aux cafés et aux boudoirs. C’est ce qui nous vaut le nombre, heureusement inusité, de Vénus qui, à défaut de beauté, offrent des séductions de mauvais aloi où l’art ne se montre guère.

Une des premières qualités de l’art, la principale peut-être, est la chasteté. Les œuvres des maîtres sont chastes, parce qu’elles ont été conçues par des esprits vraiment doués du sens de l’idéal. Les Vénus de Titien, qui sont à la tribune de Florence, la Danaé du