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personnelle; une troupe, fût-elle une troupe d’élite, ne sera jamais qu’une réunion de soldats, c’est-à-dire d’êtres qui reçoivent d’autrui leur initiative. Les chasseurs d’Orléans de M. Protais ont donc, pour être absolument vrais, trop d’originalité particulière; ils savent trop quel est le but militaire et politique assigné à leurs efforts. Il est fort rare qu’il en soit ainsi; l’intention de M. Protais était certainement excellente, mais il n’a pas tenu assez compte du cadre où il avait à la produire. Son tableau n’en reste pas moins digne du succès qui l’accueille; il prouve des études consciencieuses, une recherche intelligente, et me paraît supérieur à son pendant, le Soir après le combat, où l’on retrouve une préoccupation de l’effet dramatique poussée peut-être à l’excès.

En parlant de MM. Hébert et Gérôme, il y avait lieu d’exprimer un regret : c’est qu’ils n’eussent pas été plus efficacement encouragés à continuer les œuvres sérieuses qu’ils avaient essayées. Faudra-t-il, à propos des toiles de M. Protais, exprimer le même regret? Si l’on a jamais eu besoin d’un peintre de batailles, sans aucun doute c’est maintenant; l’art est absolument étranger aux grandes productions de cet ordre qu’on a vues depuis quelques années. Or, quand les hommes spéciaux et nécessaires n’existent pas, il faut les créer. M. Protais a en lui tous les élémens d’un peintre de batailles remarquable; saura-t-on les reconnaître et les utiliser? Tout ce que nous voyons depuis quelque temps en fait de tableaux militaires nous donne amèrement à regretter la mort d’Horace Vernet. Certes nous tous, artistes et critiques, nous avons été bien souvent injustes pour cet artiste éminemment français, qui connaissait nos soldats d’une si merveilleuse façon, qui, dans sa peinture trop lâche et trop plate, j’en conviens, avait l’entrain d’un colonel de chevau-légers, et qui nous a laissé dans plusieurs de ses tableaux des modèles qu’on est bien loin d’égaler aujourd’hui. Ses successeurs le font apprécier à sa juste valeur, car s’ils n’ont aucune de ses qualités, ils ont en revanche tous ses défauts.

Il en est de la peinture religieuse comme de la peinture militaire, elle n’est plus guère dignement représentée. Cependant elle est sans contredit un des buts les plus importans proposés à l’art, mais aussi l’un des plus difficiles à atteindre. En effet, la science des lignes, de la couleur, de la composition, ne suffit pas : il faut y joindre ce je ne sais quoi de pathétique qui émeut et frappe vivement l’esprit comme l’explication d’un symbole. Entre la peinture religieuse et la peinture décorative des églises, il y a une différence radicale dont les artistes se sont rarement rendu compte. Représenter Jésus et les douze apôtres n’est point malaisé; mais est-ce bien Jésus? Sont-ce bien les douze apôtres? Le plus souvent ce sont treize hommes