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effet de lignes et employant les mêmes procédés de coloration. Il y a des artistes qui semblent condamnés à perpétuité aux Bretons, aux vues d’Egypte, à l’Auvergne, aux scènes d’Alsace. A force de tourner dans le même cercle, ils s’épuisent et ne réussissent plus à attirer le public, qui s’éloigne d’eux, fatigué de voir sans cesse la répétition affaiblie de tableaux qu’il connaît déjà. Les artistes se satisfont trop facilement par les qualités qu’ils possèdent, et paraissent ignorer qu’en matière d’art, comme en toutes choses, rester stationnaire, c’est reculer. Quelques-uns d’entre eux, naturellement doués d’un coloris agréable, s’en tiennent pour toujours à cette mince faculté ; ils ressemblent à ces jeunes Mondeux, à ces enfans-prodiges qui, à l’âge de douze ans, résolvent instantanément les calculs les plus compliqués et qui sont hors d’état de se rendre compte scientifiquement du mécanisme à l’aide duquel ils agissent. Les peintres auxquels je fais allusion, et qu’il est superflu de nommer, ont débuté un jour par un tableau dans lequel on remarquait une qualité nouvelle, un coloris singulier, une façon inattendue d’interpréter les aspects de la nature; on les a applaudis, on leur a donné des encouragemens, des éloges, souvent même des distinctions recherchées. En peignant ainsi, ils obéissaient à une loi fatale de leur nature, ils ne se sont point fécondés, agrandis par l’étude; ils ont continué à faire ce qu’ils savaient faire, sans même penser à chercher au-delà. Qu’est-il arrivé? L’engouement est tombé, et quand on regarde leurs tableaux, on croit les avoir déjà vus.

Il faut se renouveler sans cesse, si l’on ne veut périr; la nature est d’ailleurs infinie dans ses enseignemens ; le même pays, les mêmes hommes offrent, à qui sait les voir, des aspects multiples qui peuvent inspirer les esprits réfléchis. M. E. Fromentin seul suffirait à nous le prouver. Il ne sort pas de l’Algérie ; tous ses tableaux semblent destinés à servir d’illustration à ses deux beaux livres : Un été dans le Sahara, Un an dans le Sahel, et cependant il se présente à chaque exposition avec des effets nouveaux rendus avec ce charme supérieur qui est le fond même de son talent. Par des œuvres dont les lecteurs de la Revue ont pu apprécier la valeur, M. Fromentin a prouvé qu’il savait, comme écrivain, concevoir, coordonner et produire, triple don qui suffit à constituer un esprit d’élite; dans la peinture, il a les mêmes facultés et sait en tirer un excellent parti, quoiqu’on puisse lui reprocher de concevoir ses tableaux au point de vue trop exclusif de la coloration. Il cherche évidemment un effet blanc, un effet rose, un effet bleu, et les personnages, le paysage, toute la composition en un mot, ne lui servent qu’à l’obtenir, et deviennent ainsi l’accessoire au lieu de rester le principal. On peut aussi lui reprocher