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yeux et dit : Et après ? A la suite de chaque œuvre produite, c’est là le mot que l’artiste doit se dire : Et après ? Quant à ceux qui s’appuient paresseusement sur un succès obtenu pour s’arrêter, se reposer, s’oublier dans l’admiration de leur propre valeur, qu’en penser, sinon qu’un capitaine qui s’endort est plus coupable qu’un soldat qui déserte. En somme, pour toutes les choses d’art, que signifie un succès ? Un encouragement à faire mieux encore.

Si la petite école belge nous est supérieure quant à l’exécution, ce qui ne me paraît point douteux, il faut avouer aussi qu’en matière de composition nous ne pouvons approcher des Allemands ; je n’entends point désigner les Allemands peintres de genre qui exposent à Paris leurs tableaux de chevalet, ni surtout M. Knaus, qui tend à ne plus être bientôt qu’un peintre comique, ce qui est fort triste. Je veux parler des Allemands peintres d’histoire qui ont eu cette bonne fortune de rencontrer dans leur pays les encouragemens qu’une nation éclairée doit aux arts, et qui, grâce à cette protection, ont pu, à force de temps, d’efforts et d’étude, arriver à ouvrir une voie nouvelle à l’interprétation de l’histoire par la peinture. La composition ne consiste pas à disposer les personnages d’un tableau dans des attitudes variées, de manière qu’ils ne soient pas tous de profil ou tous de trois quarts ; la composition consiste à faire concourir tous les personnages à une action commune, qui est le sujet choisi par le peintre. Pour rendre plus facilement ma pensée, je prendrai un exemple : l’Appel des condamnés de M. Müller, grande toile exposée il y a quelques années, n’est point un tableau composé ; en effet, si l’on supprime l’homme qui lit la liste lugubre, toute l’action disparaît, le sujet n’existe plus, et l’on se demande avec raison ce que font tous ces personnages qui posent et n’agissent point. Si au contraire on veut regarder la Mise au Tombeau de Titien, qui est au Louvre, on verra un tableau où chaque acteur, s’empressant par son action particulière d’aider à une action générale, prouve une composition aussi simple que savante. La manière dont les maîtres italiens composaient ne peut être comparée à la manière dont les Allemands modernes composent, je le sais ; cela est naturel : les premiers étaient des hommes d’impression, sensuels et prime-sautiers ; les seconds sont des hommes de réflexion, spiritualistes et avant tout métaphysiciens. Leur composition est trop souvent recherchée, parfois obscure : elle a besoin d’une sorte de commentaire pour être expliquée, c’est là un tort assurément ; mais en somme il vaut encore mieux trop composer que de ne point composer du tout, et je suis persuadé que l’école française trouverait un grand profit à étudier la façon dont M. Kaulbach comprend et traite la peinture d’histoire. Je connais tous les reproches qu’on