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Les anciennes distinctions d’écoles même ont disparu, il n’y a plus ni classiques, ni romantiques, ni réalistes, ni rococos ; il n’y a plus que des hommes qui, ayant à leur disposition une science quelconque, en tirent le meilleur parti qu’ils peuvent pour gagner le plus d’argent possible. N’est-ce point Pétrone qui a dit : « Sans le désintéressement, il n’y a pour le talent ni moralité, ni gloire ; l’amour des richesses fait exécuter les choses difficiles ; seul, l’amour de l’art peut créer des chefs-d’œuvre ? » On dirait que les artistes, placés au centre de la société moderne, épient ses mouvemens, étudient ses vices et les reproduisent sous une forme agréable, afin de flatter la manie du plus grand nombre et d’arriver ainsi à la fortune et à la réputation. En somme, quels sont les trois élémens extérieurs qui ont concouru à inspirer les artistes représentés, par leurs œuvres à cette exposition ? La caserne, la sacristie et le boudoir. De là cette quantité de tableaux militaires sans héroïsme, de portraits ecclésiastiques, de Vénus conçues dans un tel et si étrange esprit qu’elles n’auraient jamais dû quitter l’atelier.

La mission de l’art est de déterminer la beauté physique et de glorifier la beauté morale en fixant pour toujours par la peinture ou la statuaire les grands actes de l’humanité. Ceux qui ne la conçoivent pas ainsi me paraissent être hors de la vérité. Prétendre que l’art n’a d’autre but que de reproduire la nature, c’est faire preuve d’impuissance, et à ce compte M. Blaise Desgoffe, qui, par ses savans et très curieux procédés, en arrive à produire une illusion complète, serait l’artiste le plus remarquable qu’on ait vu depuis longtemps. On doit toujours pouvoir dire d’un artiste ce que Pline dit de Timanthe : « Dans tous les ouvrages de ce peintre, il y a quelque chose de sous-entendu, et quelque loin qu’il ait pousse l’art, son esprit va encore au-delà. » La peinture et la sculpture sont avant tout des arts de conception subjective ; c’est l’exécution seule qui les rend objectifs. Un artiste doit concevoir son œuvre et la voir en lui-même ; la nature alors vient à son aide pour l’éclairer, lui donner l’appui de ses documens innombrables et rectifier ses idées. Se placer ingénument devant un arbre, devant une femme, devant un cheval, les copier de son mieux, c’est faire simplement acte d’ouvrier, et malheureusement c’est ce que chacun semble faire aujourd’hui. Ce qui frappe le plus douloureusement lorsqu’on regarde les toiles exposées, c’est l’absence radicale de composition. Les paysagistes envoient leurs études : un site, un aspect, une exception de la nature les a frappés au passage ; ils l’ébauchent sur place, le terminent à l’atelier, l’envoient au Salon, et s’imaginent avoir fait un tableau ; ils se trompent, ils ont fait une copie, et j’avoue, pour ma part, que je préfère l’original. Un peintre d’histoire prend une