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de grandes surfaces où son pinceau eût pu acquérir une fermeté qui lui a toujours fait défaut, on l’eût conduit et arrêté pour toujours peut-être à la grande peinture, dont il venait de se montrer capable autant et plus que tout autre. Loin de là, M. Hébert fut abandonné à lui-même. Obéissant aux sollicitations de son tempérament maladif, il retourna aux choses gracieuses, qui lui avaient valu ses premiers succès ; de la grâce il est tombé dans l’afféterie, et de l’afféterie dans une sorte de peinture malsaine, molle, et d’une sentimentalité indigne d’un talent qui avait tant promis. Après avoir peint des paysannes d’Alvito et de Cervara dans un ton à la fois sourd et effacé, après avoir dédaigné les conseils qu’une critique indépendante ne cessa de lui donner, M. Hébert expose aujourd’hui une Jeune Fille au puits, composition nulle, sans imagination, qui montre une jeune femme vivement éclairée, en pleine lumière, causant auprès d’un puits avec un jeune homme relégué dans l’ombre. Quelques tours d’adresse parfaitement réussis prouvent que M. Hébert manie très habilement le pinceau et connaît tous les mystères du métier : les mains de la jeune fille sont traitées à ravir, et le seau est exécuté en manière de trompe-l’œil ; l’ensemble est gracieux, mais de cette grâce efféminée qui prend la maladie pour la beauté, et tourne volontiers aux illustrations de keepseake. Le jeune homme, effacé dans les tons obscurs, sans autres traits distincts que des yeux démesurés, flottans, sans contours définis, ressemble plus à un fantôme qu’à un vivant, à une apparition plus qu’à un être en chair et en os. Il y a loin de cette toile, à la fois prétentieuse et confuse, à la Mal’aria, que M. Hébert ne pourrait peut-être plus peindre aujourd’hui.

M. Gérôme aussi eût pu facilement devenir un chef d’école. Il avait de la jeunesse, de l’ardeur, une extrême rapidité d’exécution, quelque chose de net et de précis dans ses compositions qui ne laissait place à aucune ambiguïté ; il avait étudié et connaissait bien la nature ; il possédait un dessin correct, quoique parfois trop allongé, et son coloris, qui cependant avait une propension à devenir souvent trop sec, était très suffisant pour charmer les yeux. Depuis le Combat de Coqs (1847), qui l’a fait connaître, M. Gérôme avait passé d’un sujet à un autre avec une mobilité singulière ; on pouvait croire qu’il cherchait sa voie, et s’y tiendrait lorsqu’il l’aurait enfin trouvée. Devant son Siècle d’Auguste (1855), malgré certaines violences inutiles dans la ligne, tous ceux qui espéraient une direction crurent qu’on l’avait enfin rencontrée, et les regards se portèrent avec intérêt sur M. Gérôme, comme ils s’étaient portés sur M. Hébert. « Ce sera le maître, » disait-on. Il ne le fut pas, non plus que M. Hébert ; mais l’état ne fut pas plus clairvoyant avec lui qu’il ne l’avait été avec le peintre du Baiser de Judas. M. Gérôme venait de faire