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les étrangers ; le peuple suivit l’exemple qui lui venait d’en haut. Quant aux étrangers, ils ne tentèrent aucun effort pour ramener à eux les esprits irrités, et, peu de semaines après l’ouverture des ports de Nagasaki et de Yokohama, il lut évident que les Japonais et les Européens étaient séparés par des barrières infranchissables. Le prince de Mito triomphait ; il ne songea plus qu’à perdre entièrement de réputation le régent Ikammono-Kami et à expulser les étrangers. De graves événemens allaient être le résultat de ce double dessein.

Le 25 août 1859, deux officiers russes furent assassinés en plein jour dans une des plus grandes rues de Yokohama. Le 6 novembre suivant, on massacra le domestique du consul de France dans la même ville. Le 29 janvier 1860, Den-Kouschki, l’interprète dit ministre anglais, fut poignardé à la légation de Yédo, au pied même du mât qui portait le pavillon britannique. Quelques jours plus tard, le 20 février, MM. Vos et Decker, capitaines hollandais, furent hachés en morceaux dans la rue de Yokohama où avaient péri les officiers russes. Tous ces crimes demeurèrent impunis. La voix publique désignait comme les meurtriers des agens du prince de Mito. C’était lui en effet qui pouvait en retirer le plus grand bénéfice, car il espérait que l’Angleterre, la France, la Hollande et la Russie rendraient la cour de Yédo responsable des crimes qui s’étaient commis sur les domaines du taïkoun. Il se trompait : l’Angleterre et la France, comprenant ce qui se passait et ne se souciant pas d’entreprendre une guerre coûteuse tant qu’il restait un prétexte honorable de maintenir la paix, se contentèrent d’ordonner à leurs ministres, MM. Alcock et du Chesne de Bellecourt, de faire entendre d’énergiques protestations. Le prince de Mito résolut alors de prendre la voie la plus courte pour se débarrasser de son antagoniste. Peu de jours après l’assassinat de MM. Vos et Decker, et lorsqu’il parut démontré que ce nouveau crime ne susciterait pas plus que les autres des embarras au gouvernement du taïkoun, le prince de Mito réunit quelques-uns de ses confidens et leur fit comprendre qu’ils mériteraient bien de la patrie ; s’ils parvenaient à la délivrer du régent. Ces insinuations furent aisément comprises. Les confidens du prince choisirent parmi ses sujets quelques mécontens auxquels ils transmirent les désirs de leur maître ; un certain nombre de fanatiques, entre lesquels se distinguait particulièrement un ancien officier du prince de Satzouma, s’unirent aux premiers conjurés, et bientôt ils se trouvèrent en nombre suffisant pour exécuter leur projet. Ils se rendirent alors à Yédo, où ils arrivèrent le 20 mars 1860, et s’établirent dans une maison de thé[1] du faubourg mal

  1. Les étrangère ont pris l’habitude de comprendre sous la dénomination de maisons De thé la plupart des lieux publics où se réunissent les Japonais. Les maisons de thé proprement dites ou tcha-ïas sont des établissemens qui ressemblent à nos cafés. Les djoro-ïas de Sinagava au contraire sont des lieux de débauche qui servent ne rendez-vous à la jeunesse désœuvrée de Yédo. Les rixes y sont très fréquentes, et c’est, là que se trament d’ordinaire la plupart des crimes commis dans la capitale.