Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/888

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

premier ouvert l’avis que le véritable auteur était saint Hippolyte, l’évêque de Portus, et il a développé cette opinion dans un ouvrage fort important : Hippolyte et son siècle. Il faut savoir en effet que Photius, Eusèbe, saint Jérôme, attribuent à Hippolyte un traité contre les hérésies ; or c’est le titre du manuscrit des Philosophumena. L’auteur prend lui-même la qualité d’évêque, et il y passe en revue trente-deux hérésies, chiffre égal à celui que Photius attribue aux articles de la réfutation d’Hippolyte. Il y a donc de fortes raisons en faveur de l’opinion de Bunsen, et elle a été adoptée par de graves critiques, dont quelques-uns sont d’ailleurs ses adversaires, par exemple le docteur Doellinger, ce professeur à l’université de Munich qu’une circonstance récente a signalé à l’attention du public[1].

Ce traité contre les hérésies aurait, entre autres choses curieuses, établi un point qui n’est pas nouveau pour les savans, mais qui cependant étonne : c’est qu’à la fin du IIe siècle et au commencement du IIIe, sous la menace et quelquefois sous le coup des persécutions, il y avait dans le monde chrétien ; en Italie et même dans le diocèse de Rome, des divisions doctrinales, des sectes, des églises séparées très hostiles les unes aux autres. Chose encore plus grave, saint Hippolyte ou l’auteur, quel qu’il soit, des Philosophumena, ne place pas les papes hors du cercle de l’erreur. Il accuse tantôt leur foi, tantôt leur conduite. Son neuvième livre est une chronique des pontifes de Rome ses contemporains, et notamment il y donne de saint Calixte une biographie qui en ferait un aventurier, un fripon et un hérétique. Bunsen montre que ce jugement n’avait rien d’extraordinaire de la part d’un auteur qui professait en morale un rigorisme quasi janséniste dès lors réprouvé par le saint-siège, et en matière de foi une doctrine de la subordination du Verbe au père, au Dieu cause universelle, qui tendait à diviser la Divinité, tandis que Calixte, partisan absolu de l’unité de substance, avait pu être accusé de tomber dans l’erreur qui rend la Passion commune au père et au fils. Doellinger, qui prononce le même jugement sur l’auteur du livre publié par M. Miller, n’a d’autre ressource que de lui ôter l’évêché de Portus pour lui donner celui de Rome, c’est-à-dire qu’il fait d’Hippolyte un antipape.

On conçoit la sorte de rumeur que l’apparition d’un tel ouvrage a pu causer dans le monde savant et devrait produire dans le monde dévot, si ces deux mondes n’étaient pas soigneusement séparés. Quel scandale en effet s’if fallait admettre qu’un saint et un martyr comme Hippolyte eût caractérisé si sévèrement un autre saint et un

  1. Hippolytus und Kallistus. Regensburg 1853.