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de celui qui efface dans l’homme nouveau la différence entre le Juif et le gentil, le barbare et le Scythe, le libre et l’esclave[1] ? On voudrait le croire, et dater de là l’effacement de l’esclavage, au moins dans la mort. Il vaudrait la peine de prouver que les lieux séparés pour la sépulture des esclaves, que les puticoli où l’on jetait leurs cadavres[2], n’existaient pas pour les chrétiens. Ce titre de noblesse du christianisme mériterait d’être retrouvé.

Il va sans dire qu’un sentiment religieux anime toutes ces pierres sépulcrales. La mort ne s’y montre qu’accompagnée de la foi dans la véritable vie. Rarement la pensée en est très développée. Jamais, pour la confirmer, de citation de l’Écriture, ce qui mérite d’être remarqué ; le plus souvent l’in pace sacramentel, ou bien une colombe tenant le rameau dans son bec, la feuille de lierre, symbole d’immortalité parce qu’elle ne se flétrit pas, quelquefois l’A et l’Ω. Les conclusions un peu rigoureuses des meilleurs critiques ne nous laissent d’ailleurs que bien peu descriptions des premiers siècles où les espérances de la foi, le mépris de cette vie, la passion de l’autre soient explicitement rendus. Ces sentimens ne s’y traduisent que par un mot. On voudrait rencontrer à Rome plus d’occasions de comparer, dans leurs monumens respectifs, la sagesse antique et l’enthousiasme chrétien. Peut-être le contraste n’est-il nulle part plus saillant que dans le cimetière de Saint-Calixte, où l’on est surpris de rencontrer tout à coup des sépultures païennes au milieu des monumens de la foi. On a, pour en expliquer la présence, supposé que la galerie creusée par les fidèles s’était accidentellement rencontrée, comme un boyau de mine, avec un ancien caveau romain. Enfin les tombeaux sont là, ils occupent une chambre à deux arcosolia. Un distique annonce que l’un est la sépulture de Vincentius, prêtre de Sabasis[3] ; l’inscription de l’autre, où reposait sa femme Vibia, est ainsi conçue : « Vincentius, visite souvent un jour ce que tu vois. Beaucoup m’ont précédée, tous viendront, je les attends. Mange, bois, joue et viens à moi. Tant que tu vivras, fais le bien ; tu n’emporteras que cela avec toi. » On voit que l’idée morale et même religieuse n’est pas absente de cette inscription, toute mondaine qu’elle semble. Les peintures voisines ne sont pas non plus sans valeur pour l’art et la pensée. D’abord Vibia est enlevée par Pluton sur un quadrige dont Mercure conduit à pied les chevaux ; puis elle est amenée devant le tribunal sur lequel siègent Dispater[4] et sa déesse. Près de Vibia se tient Alceste, symbole de

  1. Ephes., VI, 8. Coloss., III, 10.
  2. Ou puticulœ. (Vairon, L. L. V, 25.)
  3. Sabasius, nom du Bacchus des mystères.
  4. Sans doute Diespiter, père du jour, un des noms de Jupiter.