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monde gréco-latin, la liberté de l’art était consacrée par les mœurs. En aucun temps d’ailleurs, aucune interdiction n’a dû s’appliquer à l’humanité du Christ, et lorsqu’on eut, dans le second et même dès le premier siècle, essayé de rappeler par des portraits ou des emblèmes le souvenir de chrétiens éminens, de martyrs qui devaient un jour être honorés comme des saints, lorsqu’on eut commencé de figurer les dogmes de la foi qu’ils avaient confessée par quelques images bibliques, il était difficile qu’on ne fût pas presque aussitôt conduit à représenter, au moins symboliquement, le Sauveur en personne dans les œuvres de sa vie terrestre. Bientôt on s’enhardit à le peindre directement, quoiqu’on écartât, pendant longtemps du moins, certains traits qui auraient rendu trop vivement les plus reconnaissables et les plus émouvantes réalités du récit évangélique. Ainsi s’expliquent les caractères les plus frappans des premières peintures des catacombes. La pensée en est chrétienne, quoiqu’elle ne le soit pas librement, hardiment, et qu’elle évite avec une crainte peut-être systématique de rappeler patiemment les grandes scènes du christianisme. L’art est païen, c’est-à-dire qu’il continue l’art de l’antiquité ; il suit, pour les formes et même pour la composition, les procédés et les conventions du métier qui avait, au dire de Pline, remplacé à Rome l’art importé de Corinthe et d’Athènes. Par quelques détails seulement, ce premier style chrétien décèle ce qu’il a de nouveau. Il dissimule quelquefois jusqu’aux sujets sacrés qu’il retrace. Il est en général obscur, monotone et peu original. Tel qu’il est cependant, et malgré des signes d’indécision, de routine et de décadence, il se ressent de son origine ; il vient de l’ancienne Grèce, si supérieure à la nouvelle ; il est de plus noble extraction que l’art de Byzance. S’il n’eût jamais été modifié ou plutôt remplacé par celui-ci, s’il avait pu se maintenir dans sa tradition, persister dans sa voie, en s’identifiant de plus en plus avec les souvenirs et les pensées de la religion, on se demande s’il ne serait pas arrivé directement à cet art composite, à ce savant mélange d’imitation et d’inspiration, de science et de nouveauté, dont la Transfiguration de Raphaël est le type accompli ; mais puisqu’une décadence rapide devait conduire à une interruption inévitable dans la tradition du goût, puisque la peinture, comme toute chose, devait traverser l’épreuve du moyen âge, il est heureux qu’elle ait eu le temps d’être un moment antique et chrétienne, il est heureux qu’à l’époque où l’on ne pouvait avoir d’art public, on ait essayé de se créer un art clandestin dans les ténèbres des catacombes. Là donc il faut chercher le véritable style chrétien primitif, là uniquement on peut découvrir les premières traces des efforts de l’imagination des fidèles pour sanctifier un mode d’expression créé par le génie de l’antiquité profane.