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couvent d’Esphigmenou le Guide ou la Clé de la peinture[1], il n’est plus permis de douter qu’un invariable formulaire soit depuis un temps immémorial imposé en Grèce à la peinture religieuse. Ce manuel des peintres de l’Athos remonte jusqu’au XIIe siècle, et nous fait connaître quelle tradition dominait l’art byzantin sous Andronic Ier. Il nous apprend jusqu’à la couleur qu’il faut donner au manteau de tel ou tel patriarche, de tel ou tel apôtre. C’est la preuve écrite de l’existence d’une orthodoxie iconographique, et quoiqu’elle n’ait peut-être jamais été aussi strictement observée de ce côté-ci de l’Adriatique, nos cathédrales gothiques nous offrent des preuves sans nombre de l’existence d’une imagerie réglementaire, et nous avons de la fin du VIIIe siècle une ordonnance du pape Adrien Ier qui détermine les trois manières de représenter Jésus-Christ dans les églises.

Mais toutes ces règles, qui peuvent avoir influé à travers le moyen âge jusque sur l’art de nos jours, datent-elles donc de la naissance du christianisme et du temps même où l’on ne bâtissait pas d’églises en plein air ? N’ont-elles pas un caractère sacerdotal qui va peu aux époques voisines de l’âge apostolique ? A ces questions, les peintures des catacombes ont répondu. Les voilà les premiers rudimens d’un art chrétien, du moins en Occident. Les inconnus qui décoraient ces parois et ces voûtes obscures obéissaient à d’autres inspirations et satisfaisaient à d’autres besoins que les formalistes de Constantinople. On peut reconnaître plus tard l’influence byzantine dans la marche de la peinture religieuse en Italie, et la suivre jusque sur le seuil des temps modernes ; mais il n’en résulte pas qu’avant Constantin le christianisme n’eût inventé ou adopté aucun moyen de représenter ses souvenirs et ses mystères. Pourquoi n’aurait-il pas su s’approprier telles ou telles des formes, tels ou tels des procédés que conservait l’art antique dans la décadence impériale ? Les lecteurs de l’Épître aux Romains n’avaient pas été élevés par leur maître à ne rien prendre aux gentils. Je sais que Pline nous atteste qu’à Rome, dès le second siècle et même auparavant, l’art de peindre était négligé. Les tableaux anciens étaient encore recherchés, comme le sont aujourd’hui ceux des maîtres de l’Italie : on les faisait à grands frais venir de Grèce et d’Asie ; mais on n’en peignait plus de nouveaux. Quoique le métier de peintre eût été assez estimé de la vieille Rome pour donner un surnom à une branche des Fabius, il était abandonné, et Pline nous parle d’un ton d’oraison funèbre de dignitate

  1. Le titre même, l’Interprétation, ou, si l’on veut, l’Herméneutique de la peinture, semble déjà indiquer que l’art est un symbolisme à expliquer. — Manuel d’iconographie chrétienne, traduit par M. Paul Durand, 1845. — Iconographie chrétienne, par M. Didron, 1843.