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Vultus de Luca ; si révéré par le moyen âge, si souvent pris à témoin de sermens trop semblables à des blasphèmes par le roi Guillaume le Roux. Mais le moyen âge, trompé par l’homonymie, n’aurait-il pas pris l’image de Lucques pour un ouvrage de Luc et sanctifié la première au nom du compagnon de saint Paul, dont saint Jean Damascène avait fait le patron des peintres, et qui devrait être tout au plus celui des médecins[1] ? On prête à saint Luc jusqu’à onze portraits connus de la Vierge, que les critiques rendent à un certain Luca du XIIe siècle ; mais on peut les reléguer tous avec cette image de Marie qui, lors de la prise de Nicée par les Turcs, s’enfuit de cette ville et passa la mer à la nage pour s’aller réfugier au couvent d’Ivirou dans l’Athos, ou avec celle qui, traversant les airs en 1294, vint s’abattre, ainsi que la santa Casa, sur la colline de Lorette. Toutes ces traditions, plus que hasardées, prouvent seulement que le judaïsme n’avait pas laissé dans l’église de préjugé absolu contre la représentation des saints personnages de l’Évangile ; on avait même, à certaines époques, cherché à s’assurer de leur exacte ressemblance. La parole les avait dépeints à sa manière. On ne peut guère s’arrêter à la lettre très manifestement apocryphe de Publius Lentulus, proconsul de Judée avant Hérode, lequel aurait adressé au sénat romain un signalement informe de la personne du Messie. Cette épître prouve du moins que ceux qui l’ont fabriquée croyaient répondre à la curiosité publique. Saint Jean Damascène, qui défend de représenter Dieu le père, l’incorporel, l’invisible, l’infini, l’incompréhensible, n’interdit pas de peindre son divin fils, le Christ fait homme étant dans son langage scolastique un animal rationale, dont il ne se refuse pas à indiquer en quelques traits l’apparence corporelle et la figure, qui rappelait, dit-il, celle de sa mère et celle d’Adam ; aussi donne-t-il les règles prescrites par l’empereur Constantin à quiconque la voudrait retracer. Saint Anschaire, qui vivait cent ans après Damascène, vit le Seigneur lui apparaître sous une forme peu différente de l’image officiellement approuvée par l’empereur, et un annaliste ecclésiastique, postérieur de près de six siècles, mais qui ne sortait pas de la bibliothèque de Sainte-Sophie, et qui y puisa tous les documens d’une histoire de l’église jusqu’à l’an 1000, Nicéphore, fils de Calliste, a résumé jusqu’aux moindres traits de Jésus et de Marie tels que l’antiquité les avait conservés jusqu’à lui.

Ainsi c’est surtout l’église d’Orient qui semble s’être occupée de recueillir la tradition iconographique. Jamais les Latins n’ont accepté

  1. Ceci soit dit sauf le respect dû à l’auteur (Serantoni) de l’ouvrage intitulé Apologia del Volto santo di Lucca difesa che sia un vero rittrato di Gesu Cristo penante iu Croce, etc., Lucca 1765.