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unit soit les institutions, soit les monumens aux souvenirs et aux croyances, au passé et au présent de la foi, l’influence exercée par les traditions, que représentent des débris sacrés ou de majestueuses constructions, sur les sentimens encore vivans dans les âmes, semblent n’avoir pas un moment occupé l’esprit des explorateurs mondains de la capitale catholique, et le christianisme est pour eux comme s’il n’avait ni histoire ni poésie.

Mais Rome, sans avoir changé, n’apparaît plus la même depuis le commencement du siècle, et, comme il arrive toujours, on est tombé en la jugeant dans un excès contraire et nouveau. Des sentimens qui n’ont nul rapport avec la vérité ou la beauté des choses ont mis à la mode une admiration indistincte, un enthousiasme de commande, une idolâtrie minutieuse, qui feraient de Rome au besoin la cité de Dieu réalisée sur la terre. Gardons-nous de ces préventions volontaires, de ces émotions de parti-pris que dicte la mode ou la politique ; mais que le désir de nous préserver des effusions du faux zèle, des superstitions de l’esprit de parti, ne nous rende pas insensibles à ce qu’il y a de noble ou de touchant dans les idées et même dans les passions de l’âme religieuse, et par suite dans les créations et les images visibles qui attestent la puissance de ces idées et de ces passions sur toute la nature humaine.

Il est à noter que ce n’est pas la papauté qui des premières a donné l’exemple de la fidélité ou du retour aux antiquités du christianisme, c’est-à-dire à ce qu’il a sur la terre de plus auguste. Longtemps cette diplomatie spirituelle, absorbée par des intérêts qu’elle tâchait de croire sacrés, n’a vécu que dans le siècle en parlant d’éternité. Elle a pris son autorité pour la religion même ; celle-ci, on eût dit qu’elle l’ignorait ou la négligeait dans son essence, dans ses origines, dans tout ce qui explique et honore la puissance de l’école la plus vaste et la plus populaire qui ait été ouverte pour enseigner au monde le mépris de la fortune, du plaisir et de la vie.

Tel est le caractère que le christianisme reprend pour nous avec éminence, dès qu’au lieu d’en voir les plus nobles produits dans le génie dominateur d’un Grégoire VII, les royales qualités d’un Nicolas V, les conquêtes d’un Jules II, les élégantes curiosités d’un Léon X, l’énergique administration d’un Sixte-Quint, nous remontons à des temps bien antérieurs à Constantin même, à ces temps dont Rome est encore le lieu de la terre qui conserve le plus de vestiges. Il est en effet remarquable, encore qu’assez naturel, que les trois premiers siècles du christianisme, cette période de sa plus pure et de sa plus merveilleuse propagation, aient laissé si peu de traces matérielles dans les trois parties du monde, dont il envahit alors presque toutes les régions civilisées. On compterait les monumens