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d’ambition pour ne pas modifier, une fois au pouvoir, ses opinions libérales. Afin de lutter avec avantage contre Mito, le chef du parti réactionnaire, il s’était montré ami des réformes ; Mito vaincu et éloigné, le régent songeait à revenir au système contraire, qui lui assurait la popularité. La marche rapide des événemens le trompa dans ses desseins. Le commodore Perry reparut au Japon en 1854, et tous les efforts du régent pour le renvoyer sans lui faire de nouvelles concessions furent inutiles. Le commodore, qui se savait invincible à bord de ses navires de guerre, demeura inébranlable dans ses demandes, et les Japonais furent contraints de signer un premier traité de commerce, par suite duquel M. Townsend Harris, nommé consul-général des États-Unis, s’établit dans la petite ville de Simoda. Homme d’une rare intelligence, habile autant que patient, M. Harris, tout en s’appliquant à gagner les bonnes grâces des hauts fonctionnaires, sut tirer adroitement parti des événemens pour arracher à la cour de Yédo de nouvelles concessions. Aussitôt qu’il connut le résultat de la seconde guerre de Chine, il se rendit auprès du gouverneur de Simoda et lui expliqua, dans un sens favorable à ses projets, ce qui venait de se passer. La Chine, lui dit-il, était complètement vaincue ; il avait suffi que l’Angleterre et la France envoyassent une faible partie de leur puissante flotte et de leur nombreuse armée pour subjuguer l’empire du milieu, dix fois plus grand et plus peuplé que le Japon. Le gouvernement chinois était avili aux yeux de ses propres sujets et humilié devant le monde entier ; il subissait ainsi la conséquence de son mépris pour l’esprit de progrès ; un pays riche et civilisé ne pouvait plus, dans les temps modernes, se condamner à un isolement stérile ; il était obligé de se rapprocher des autres nations ou devait s’attendre à ce que celles-ci vinssent lui imposer leur présence. On ne pouvait plus, dans l’état où se trouvaient les choses, séparer les intérêts généraux du Japon de ceux de la Chine ; la présence des flottes étrangères dans les mers chinoises était à la fois un conseil et une menace pour le gouvernement du Japon ; Les Anglais désiraient nouer des relations avec ce gouvernement ; entre ce désir et des tentatives pour le satisfaire, il n’y avait qu’une faible distance, et il était impossible de dire si ces tentatives n’allaient pas amener des complications de la nature la plus sérieuse. Les Américains étaient pacifiques, ils n’avaient aucun désir de conquête, et, comme ils étaient riches et puissans, leur amitié devenait une garantie de paix et de prospérité. Il était donc évident que l’intérêt du Japon conseillait à son gouvernement de se, rapprocher des États-Unis.

Le régent et le conseil des cinq, fort inquiets des événemens et des paroles de M. Harris, convoquèrent à Yédo les gok’chis et les daïmos. Les séances de cette assemblée furent très orageuses. Le