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L’écrit du prince de Kanga, dirigé contre une des opinions les plus anciennes et les plus enracinées dans l’aristocratie japonaise, causa, une sensation profonde. Le daïmio Ikammono-Kami, appelé plus tard à devenir régent, approuva le langage et les idées du prince ; le vieux gofsanké de Mito blâma au contraire énergiquement ses conclusions. Descendant d’une famille souveraine, connu par sa bravoure, sa prudence et sa force physique, le prince de Mito était regardé comme le vrai type du noble japonais, et jouissait d’une grande popularité. Ses vassaux lui étaient aveuglément dévoués à la cour même du mikado, parmi les adversaires naturels de sa famille, il comptait de nombreux amis. Le respect et l’affection dont il se voyait entouré poussaient jusqu’à l’exaltation l’ardeur de son patriotisme. Il n’y avait, selon lui, qu’un pays civilisé, le Japon ; en dehors de cet empire vivaient les barbares ; si la race affaiblie et dégénérée des Chinois n’avait pu résister à l’agression des hommes, de l’Occident, il n’en pouvait être ainsi des Japonais, qui gardaient, encore le même courage et la même force qu’à cet âge héroïque où ils avaient repoussé l’invasion des Mongols ; ils ne repousseraient pas moins vaillamment les chrétiens, s’ils osaient se présenter, et les chasseraient comme ils les avaient chassés une première fois sous le règne du taïkoun Hieas.

Le prince de Kanga et Ikammono-Kami n’osèrent pas faire une opposition ouverte au prince de Mito ; mais celui-ci ayant conseillé à son cousin, le taïkoun Minamoto, d’expulser de sa cour le ministre Midzouno, qui le premier avait eu l’audace de parler de réformes, Ikammono-Kami usa de son influence avec beaucoup d’habileté, et parvint à maintenir à la présidence du conseil des cinq le chef du parti progressiste. À la suite de cet insuccès, Mito quitta Yédo, et son adversaire Ikammono-Kami, profitant de son absence, le perdit dans l’esprit du taïkoun en le représentant comme un homme dangereux, dont la popularité pouvait porter atteinte au pouvoir du souverain. Il y eut dès lors guerre ouverte entre lkammono-Kami et Mito, c’est-à-dire entre le parti progressiste et le parti conservateur. Qu’on nous permette d’employer ces dénominations, qui peuvent paraître étranges, appliquées à une société si peu connue, et qui n’en sont pas moins exactes.

Malgré ses sympathies avouées pour la cause du progrès, le taïkoun Minamoto-Yeoschi se trouva bientôt dans un. extrême embarras. On était en 1853, et on venait d’apprendre l’arrivée de la flotte. américaine sous les ordres du commodore Perry. Le taïkoun se voyait