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I

Il y a environ deux cent soixante-dix ans que le général Faxiba, plus connu dans l’histoire sous le nom de Taïkosama, fut chargé par l’empereur légitime du Japon, le mikado, de faire rentrer dans l’obéissance plusieurs grands vassaux qui s’étaient révoltés. Faxiba, ait lieu d’exécuter les ordres de son souverain, profita des pouvoirs dont il était investi pour se mettre lui-même à la tête du gouvernerment. Il relégua le mikado dans son sérail ; l’entoura de dignitaires auxquels il donna des titres pompeux et de faibles revenus, en fit une sorte de roi fainéant, et ne lui laissa que l’apparence de l’autorité. Le fils de Faxiba, Fide-Yori, était trop jeune pour recueillir impunément les fruits de cette audacieuse usurpation : il périt bientôt, assassiné par son propre tuteur, le général Hieas. Celui-ci, laissant le mikado en possession de ces vains titres, alla s’établira Yédo, dont il fit la seconde capitale de l’empire, et fonda cette dynastie de chefs militaires qui, sous le nom de chiogouns ou taîkouns, ont régné depuis au Japon. L’organisation féodale du pays s’opposait toutefois à la réalisation immédiate de ses plans ; un grand nombre de princes refusèrent de reconnaître le pouvoir du général Hieas : il soumit quelques-uns de ces mécontens, et força les autres à adhérer aux lois de Gongemama, espèce de pacte politique qui depuis cette époque forme la base de la constitution[1].

En vertu de ces lois, les princes insoumis, les dix-huit grands daïmios ou gok’chis, restaient maîtres à peu près absolus dans leurs principautés respectives ; seulement ils devaient, à certaines époques, se rendre à la cour de Yédo et y résider pendant un temps déterminé. Hieas voulut, par cette obligation, marquer leur état de dépendance ; mais il les abaissa surtout par la création d’une nouvelle et puissante noblesse. Ces nouveaux nobles furent les jeunes daïmios, au nombre de trois cent quarante-quatre, et les hattomotos (capitaines), au nombre de quatre-vingt mille. Vassaux du taïkoun, les nouveaux nobles devaient lui rendre hommage, lui payer tribut, se soumettre à une conscription militaire, et restituer dans certains cas, si leur suzerain l’exigeait, les fiefs dont ils avaient été investis. Une assemblée de grands daïmios était chargée de proposer les mesures d’intérêt général ; le taïkoun avait à les exécuter lorsqu’elles avaient reçu la sanction du mikado. Le taïkoun était donc en réalité le chef du pouvoir exécutif, pouvoir représenté par le gorodjo, ou conseil des cinq, siégeant en permanence à Yédo.

  1. Gongensama est le nom sous lequel on rend aux mânes de Hieas des honneurs presque divins.